dimanche 20 juin 2010

Messaoud Ould Boulkheir : " Le régime n'est pas démocratique ! "







Messaoud Ould Boulkheir.Messaoud Ould Boulkheir.© Laurent Prieur pour J.A.

Il y a un an, l’accord de Dakar mettait un terme à la crise politique mauritanienne. Mais pour le président de l’Assemblée nationale et leader de l’APP, la bataille n’est pas terminée.

Jeune Afrique : Vous avez appelé à « la chute du régime » de Mohamed Ould Abdelaziz. Comment un démocrate peut-il lancer un tel message ?

Messaoud Ould Boulkheir : Ce régime n’est pas démocratique ! Et je n’appelle pas la population à prendre les armes mais à protester. Tout ce que nous ferons aura pour cadre la démocratie. Nous allons organiser des manifestations, des opérations ville morte, des grèves.

Que reprochez-vous à Ould Abdelaziz ?

Depuis qu’il est au pouvoir, son incurie et l’incompétence de son gouvernement ont entraîné un grand nombre de malheurs. Le terrorisme est en recrudescence. Or, en août 2008, Aziz a justifié son coup d’État par l’incapacité du pouvoir à lutter contre ce phénomène. En outre, il entretient des rapports conflictuels avec nos voisins : le Mali n’a pas apprécié qu’Aziz vilipende son président pour sa façon de traiter le problème du terrorisme, et le Sénégal est irrité par le fait que la Mauritanie ait fixé unilatéralement les points de passage sur la frontière. Sur le dossier du Sahara, la neutralité a été rompue. L’ambassadeur mauritanien s’y est rendu et a tenu des propos favorables à l’une des parties en conflit, le Maroc. Il y a aussi ces nouveaux canaux diplomatiques, du Venezuela à l’Iran, en passant par Cuba. Ils risquent de nous fâcher avec nos partenaires occidentaux. Sans oublier que l’administration est totalement déstructurée. Le régime actuel a écarté les cadres compétents, sous le prétexte de renouveler la classe politique. Mais les ministères ont été confiés à une clientèle parentale et tribale. Du coup, ce gouvernement n’inspire pas confiance et ne fait rien.

De grands chantiers ont pourtant été lancés…

La plupart ont été programmés sous Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Par populisme, Aziz s’en est attribué le mérite.

Ahmed Ould Daddah, Mohamed Ould Maouloud et vous-même êtes les seuls piliers de l’opposition depuis près de vingt ans. Pourquoi ?

L’opposition a ses leaders, et chacun est le ciment de son parti. Si Ould Daddah part, je ne suis pas sûr que son parti tienne. À l’Alliance populaire progressiste (APP), c’est pire : ses membres sont accros à Messaoud. Nous ne nous sommes pas imposés par la force ou la corruption, mais par notre travail, notre comportement, nos prises de position. Ceux qui sont pressés n’ont qu’à fonder leurs partis.

La victoire d’Ould Abdelaziz à la présidentielle de juillet 2009 ne vous a-t-elle pas incité à vous remettre en question ?

La Mauritanie est un pays en développement. La population considère que les tenants du pouvoir sont les plus aptes à continuer de l’occuper. Elle n’élit pas nécessairement quelqu’un pour ses qualités intrinsèques.

Si Ould Abdelaziz vous conviait à un dialogue sur des sujets de fond, accepteriez-vous l’invitation ?

Je suis partagé entre ma perception personnelle et mon devoir d’homme politique. S’il y a des garanties, il ne serait pas sensé de rejeter une telle invitation. Mais si ce dialogue devait aider Aziz à terminer son mandat, ce serait non.

L’ancien chef de l’État Ely Ould Mohamed Vall fait-il partie de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) ?

Je sais qu’il a de la sympathie pour la COD. Mais il ne s’est jamais joint à nous.

Le regrettez-vous ?

Vous savez, mon opinion d’Ely, qu’il vienne ou non…

Le Groupe de contact international s’était engagé à veiller à la tenue d’un dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Que pensez-vous de son suivi ?

Il n’a jamais eu lieu. Le Groupe s’est totalement désengagé depuis la démission de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Il voulait placer Aziz au pouvoir, c’est tout. S’il avait fait autant d’efforts pour suivre la situation politique que pour nous faire signer cette bêtise d’accord de Dakar, peut-être aurait-il tiré quelque chose d’Aziz.

vendredi 18 juin 2010

La Mauritanie, un exemple dans la lutte contre la désertification




Ministère de l'Environnement et du Développement durable de Mauritanie

A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la désertification, la FAO publie un manuel destiné à combattre l’ensablement.

Le pays d’Afrique de l’Ouest a obtenu un franc succès dans la lutte contre l’ensablement en arrivant à fixer les dunes, indique la dernière publication de la Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations unies : « Lutte contre l’ensablement, l’exemple de la Mauritanie ». Le manuel, rédigé avec le soutien de la Région wallonne de Belgique et du ministère mauritanien de l’Environnement et du Développement durable, pourra servir de modèle pour des projets similaires en Afrique.

« Il y a ensablement lorsque les grains de sable sont transportés par le vent et s’accumulent sur le littoral, le long des cours d’eau et sur les terres cultivées ou incultes », selon la définition de la FAO. L’avancée des dunes, ensevelissant villages, routes, oasis, cultures, canaux d’irrigation et barrages, entraîne de considérables dégâts économiques et aggrave la pauvreté et l’insécurité alimentaire.

« La lutte contre la désertification est un combat à mener sur deux fronts, explique Nora Berrahmouni, une experte forestière de la FAO pour les zones arides. Le premier consiste à prévenir la désertification par une gestion durable des forêts, des terres et des ressources naturelles. Le second est la réparation des dégâts occasionnés, d’une part en enrayant le phénomène d’ensablement sur les sols dégradés, puis en replantant ». En choisissant les bonnes espèces de plantes et d’arbres locaux et en faisant intervenir les communautés locales et les autorités nationales, le projet a permis de fixer 857 hectares de terres menacés aux abords de Nouakchott, la capitale mauritanienne, et dans les zones côtières du sud grâce au repiquage de 400 000 plants d’espèces pérennes herbacées et ligneuses, produits en pépinières.

Les leçons tirées de ce succès viennent soutenir l’initiative de la Grande muraille verte du Sahara et du Sahel, lancée il y a cinq ans sous l’égide de l’Union africaine (UA) et de la Communauté des Etats sahélo-sahariens. Cette initiative prévoit le reboisement d’une bande de quinze kilomètres de large et de 7 000 kilomètres de long, entre Dakar et Djibouti, afin de remédier aux impacts de l’aridité, de la faible productivité des terres, de la désertification et du changement climatique. Elle permet également d’assurer des moyens d'existence durables aux communautés vivant sur les terres arides du Sahara et du Sahel.

En collaboration avec l’UA, la FAO vient de lancer un programme d’un coût de 460 000 dollars pour le démarrage de l’initiative de la Grande muraille verte à Djibouti, en Ethiopie, au Mali, au Niger et au Tchad. L’Union européenne contribue également à hauteur de 1,4 million d’euros pour sa mise en œuvre dans huit autres pays.

Parallèlement, un sommet des dirigeants africains concernés par l’initiative s’est ouvert aujourd’hui à Ndjamena, au Tchad.

jeudi 17 juin 2010

Des milliers de personnes à une marche de l'opposition

Ahmed Ould Daddah, leader de l'opposition démocratique (COD), le 2 juin 2009 à Nouakchott

NOUAKCHOTT — Des milliers de personnes ont participé mercredi à une marche de la coordination de l'opposition démocratique (COD) pour "dénoncer l'incurie du pouvoir" du président Mohamed Ould Abdel Aziz, a constaté un journaliste de l'AFP.

"L'accumulation des crises est la preuve de l'incurie de ce pouvoir", a affirmé le président de la COD, Ahmed Ould Daddah, à la fin de la marche qui s'est déroulée dans le centre de la capitale, sur une distance de trois km.

La manifestation à laquelle ont pris part des milliers de personnes s'est terminée par un meeting, selon un journaliste de l'AFP.

M. Ould Daddah a affirmé que les "populations (mauritaniennes) connaissent des conditions de vie invivables" et une "mal gouvernance qui gangrène tous les aspects de la vie du pays", a-t-il affirmé.

Il a une nouvelle fois dénoncé "la présence d'une base militaire étrangère (en Mauritanie) dont le parlement (mauritanien) n'a pas été informé".

Il faisait allusion à la France qui, selon lui, aurait une base militaire en Mauritanie.

Une source diplomatique française à Nouakchott avait récemment démenti cette information, parlant de "simples conseillers militaires au titre des accords de coopération entre les deux pays".

L'ancien général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui avait renversé le président Ould Cheikh Abdallahi en août 2008, avait été élu à la présidence en juillet 2009, avec plus de 52% des suffrages dès le premier tour du scrutin.

Il avait récemment déclaré être prêt à un "dialogue franc" avec ses opposants, à propos de "tous les problèmes" qui se posent au pays.

Il y a quelques mois, le chef de l'Etat avait rejeté l'idée d'un "partage du pouvoir" avec ses opposants, affirmant qu'ils devaient se contenter du "rôle d'opposition démocratique et laisser à la majorité la fonction du gouverner le pays". Ses opposants avaient alors réclamé son départ pur et simple du pouvoir "pour non respect de ses engagements dans le cadre des accords de Dakar".

vendredi 11 juin 2010

Mauritanie : 59,3% des ruraux sont pauvres

La pauvreté a augmenté ces dernières années en milieu rural pour atteindre 59,3% de la population de la Mauritanie, a indiqué mercredi Brahim Ould M’Brek Elmoctar, ministre mauritanien du Développement rural.

Le responsable mauritanien, qui participait au lancement de la campagne agricole 2010-2011, supervisé par le président Mohamed Ould Abdel Aziz dans la ville de Rosso (204 km à l’ouest de Nouakchott), a précisé que 60% des Mauritaniens sont actifs dans le secteur agropastoral.

Ce secteur, couvrant 19% du PIB, ne réalise que 30% des besoins du pays en produits laitiers et en céréales, mais il assure une autosuffisance en viande rouge, a rappelé le ministre.

"Malgré son importance, ce secteur continue à avoir une faible contribution à la croissance économique du pays avec seulement 1%", a-t-il ajouté.

Cette situation, a-t-il expliqué, reste liée à une crise structurelle caractérisée par "l’absence d’une stratégie claire visant le développement du secteur, ainsi que l’absence d’une vision de programmation" et "à cela s’ajoute le manque de rationalisation de l’utilisation des ressources en eau du pays".

Par ailleurs, le ministre a souligné que le lancement de la campagne agricole 2010-2011 va permettre le démarrage d’un certain nombre de projets visant à lutter contre la pauvreté en milieu rural, pour lesquels le gouvernement a engrangé un financement de 3,16 millions d’euros.

On procédera, a-t-il dit, à l’aménagement de 2.400 hectares dans la zone est du lac Rkiz (Province du Trarza, ouest du pays) avec un coût global de 23 millions de dollars.

Le ministre mauritanien a enfin rappelé que des efforts sont déployés pour la recherche d’un financement de 15 millions de dollars destinés à la création d’un complexe agropastoral.

Xinhua

jeudi 10 juin 2010

L'opposition pose ses conditions pour dialoguer avec le pouvoir

Ahmed Ould Daddah, leader de l'opposition démocratique (COD), le 2 juin 2009 à Nouakchott

NOUAKCHOTT — La coordination de l'opposition démocratique (COD) en Mauritanie a posé mardi ses conditions pour entamer un "dialogue sérieux" avec le pouvoir, en réponse à l'offre faite lundi par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, a annoncé son dirigeant, Ahmed Ould Daddah.

"L'un de nos dirigeants nous a informés de la volonté de dialogue du pouvoir auquel nous avons toujours été favorables, mais nous pensons que le régime doit en faire l'annonce de façon officielle", a affirmé M. Ould Daddah, au sortir d'une réunion mardi des responsables de la COD.

L'opposant Yahya Ould Ahmed Waghf, ancien Premier ministre sous le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi et président du parti Adil, avait été reçu lundi par le chef de l'Etat. Il avait ensuite annoncé que Mohamed Ould Adbel Aziz était "prêt au dialogue avec les dirigeants de l'opposition sur tous les problèmes qui se posent".

M. Ould Daddah a exigé que ce dialogue soit "annoncé dans le cadre des accords de Dakar", signés en juin 2009 pour mettre un terme à la crise politique consécutive au putsch de 2008.

"Le dialogue en vue doit se faire de façon sérieuse et non pour des occasions conjoncturelles", a ajouté M. Ould Daddah, en référence à une table ronde que la Mauritanie entend tenir les 22 et 23 juin avec ses bailleurs de fonds, à Bruxelles.

L'Union Européenne avait souhaité l'application intégrale des accords de Dakar et notamment "un dialogue inclusif entre tous les pôles politiques impliqués".

L'ancien général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui avait renversé le président Ould Cheikh Abdallahi en août 2008, avait été élu à la présidence en juillet 2009, avec plus de 52% des suffrages dès le premier tour du scrutin.

Il y a quelques mois, le chef de l'Etat avait rejeté l'idée d'un "partage du pouvoir" avec ses opposants, affirmant qu'ils devaient se contenter du "rôle d'opposition démocratique et laisser à la majorité la fonction du gouverner le pays". Ses opposants avaient alors réclamé son départ pur et simple du pouvoir "pour non respect de ses engagements dans le cadre des accords de Dakar".

La longue marche d'Ahmedou Ould Souilem


Ahmedou Ould Souilem, le 14 mai, à Rabat.Ahmedou Ould Souilem, le 14 mai, à Rabat.© Vincent Fournier/J.A

Né à Dakhla, nationaliste sahraoui de famille et de cœur, réfugié en Algérie à partir de 1976 et haut responsable du Polisario pendant – presque – toute sa vie, il a rejoint le Maroc en juillet 2009. Et va devenir l’ambassadeur du royaume en Espagne. Portrait-itinéraire d’un rebelle assagi.

L’homme qui reçoit J.A. dans le salon d’une villa de passage à la périphérie de Rabat, une matinée de mai, pour un long entretien exclusif sans témoins, n’est pas un rallié ordinaire. Dix mois après son « retour » dans un Maroc qu’il n’a en réalité jamais connu, Ahmedou Ould Souilem, 59 ans, ancien ministre de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et cheikh de la tribu des Ouled Delim, n’est autre que le futur ambassadeur du royaume en Espagne – sans doute le poste diplomatique le plus important vu de Rabat, avec ceux de Paris et de Washington. Un choix de Mohammed VI que Madrid a mis trois mois à avaliser tant la nomination de cet originaire de son ex-colonie du Sahara occidental, ancien cadre du Front Polisario de surcroît, a semblé plonger le gouvernement espagnol dans l’embarras. Tout ce qui touche de près ou de loin au Sahara est ultrasensible en Espagne, où les réseaux favorables aux indépendantistes sahraouis sont nombreux, actifs et influents. Mais cette nomination n’a pas non plus laissé insensible l’Algérie, où Ould Souilem a vécu pendant trente-trois ans, et la Mauritanie, où son père a résidé, encore moins le peuple des camps de réfugiés, où il était, il y a moins d’un an encore, une personnalité respectée. De Villa Cisneros (aujourd’hui Dakhla) à Rabat, en passant par Tindouf, Panamá, Téhéran, Luanda, Alger et quelques autres lieux, retour sur l’itinéraire d’un nationaliste devenu monarchiste.

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Ahmedou Ould Souilem a vu le jour en 1951 à Villa Cisneros, bourgade côtière de quelques milliers d’habitants et siège du gouvernement de la province saharienne espagnole du Rio de Oro. Son père, Souilem Ould Abdallahi, cheikh incontesté de l’importante tribu guerrière des Ouled Delim, est considéré alors, à l’instar de toute sa communauté, comme un allié de l’occupant espagnol – lequel accorde en échange à ses administrés sahraouis une très large autonomie de fonctionnement. Né en 1913, engagé volontaire au sein des tropas nomadas, puis traducteur au service de l’administration, il est l’une des trois personnalités clés de la politique saharienne du général Franco, avec Khatri Ould el-Joumani et Saïda Ould Abeïda (tous deux reguibat). Élu alcade (maire) de Villa Cisneros en 1963, puis député aux Cortes la même année, membre en 1966 de la délégation espagnole auprès des Nations unies, Souilem père se montrera, jusqu’à sa mort en 1995 dans un camp du Polisario non loin de Tindouf, très hostile aux revendications marocaines sur le Sahara occidental. Un moment promauritanien lors de la partition du territoire, il rejoint le Front Polisario en 1979, peu avant l’annexion du Rio de Oro par l’armée marocaine. Nourri dès son enfance au lait amer de la défiance à l’encontre du Makhzen, son fils a donc a priori de qui tenir…

Scolarisé à Villa Cisneros, Ahmedou Ould Souilem hérite du nationalisme antimarocain de son père, mais pas de son tropisme proespagnol. Avec un groupe de camarades, il est expulsé du lycée à l’âge de 17 ans pour avoir participé à des manifestations indépendantistes. Dès lors, la politique devient son pain quotidien. À partir de 1970, depuis Madrid, où il se soigne dans une clinique pour une affection pulmonaire, Ahmedou échange des messages avec le noyau des étudiants sahraouis de Tan Tan et de Nouakchott qui seront à l’origine de la fondation du Polisario : Mustapha Sayed el-Ouali, Ghailani Dlimi, Allali Mohamed Koury (actuel directeur du protocole de la RASD), Mohamed Salem Ould Salek, Mohamed Lemine… Le 29 avril 1973, lors de la fondation du Front (le 10 mai, date communément admise, est en réalité celle de sa proclamation), à Zouerate, en Mauritanie, Ahmedou Ould Souilem est à Dakhla. La cellule clandestine qu’il a créée a envoyé une délégation pour participer à cet événement, lequel n’est pas, au départ, spécialement dirigé contre le Maroc, avec qui une possibilité de compromis, sous la forme d’une large autonomie respectant l’identité sahraouie, est encore envisageable dans l’esprit des fondateurs du Polisario. Ce sont les accords tripartites de Madrid, le 14 novembre 1975, signés entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie sous la pression directe de la Marche verte, qui feront basculer les nationalistes sahraouis. « Ces accords nous ont exclus du jeu, explique Ould Souilem. Ils ont fait de nous une proie à dépecer, non un territoire à récupérer. Nous avons eu l’impression d’être traités comme des choses. D’où notre sentiment de frustration, que l’Algérie a su exploiter pour le transformer en hostilité à l’encontre du royaume. » En février 1976, alors que les troupes marocaines et mauritaniennes prennent le territoire en tenaille, Souilem organise la fuite des Ouled Delim de Dakhla vers la frontière algérienne. Le voyage, en Land Rover, puis à bord de camions militaires algériens jusque dans les camps de la région de Tindouf, est périlleux. D’autant que le jeune homme, qui n’apprécie guère – et ne s’en cache pas – la mainmise des Reguibat sur le Polisario, déjà sensible à cette époque, connaît une première mésaventure.

Organiser l’ouest algérien

Un jour de mars 1976, dans un campement provisoire à Oum Dreiga, il est kidnappé, malmené, cagoulé et emmené par la sécurité du Polisario au camp de Rabbouni, non loin de Tindouf, où on l’emprisonne dans une cage. Il y restera un mois avant que Brahim Ghali, le chef militaire du Front, le fasse libérer. « Quand El-Ouali a appris mon arrestation et celle de dizaines d’autres Sahraouis, il a parlé de sabotage, dit Souilem. Puis il s’est lancé dans ce raid sur Nouakchott dont il savait que ses chances d’en réchapper étaient minimes. C’était une sorte de suicide. Il est mort en juin. Moi, j’ai mis cet incident sur le compte des erreurs inhérentes à toute lutte de libération. »

Ould Souilem (à dr., alors ambassadeur de la RASD en Angola, à La Havane, en 1984.
(Collection particulière)

En juillet, Ahmedou Ould Souilem est envoyé à Alger, puis à Oran, où il met en place la représentation du Polisario pour l’Ouest algérien, frontalier du Maroc. Un an plus tard, le voici en Guinée-Bissau, avec le titre d’ambassadeur de la RASD. Son activité principale consiste à exfiltrer des Sahraouis de Mauritanie via le Sénégal, puis de les envoyer sur Alger à partir de l’aéroport de Bissau, avec l’appui logistique de l’ambassade d’Algérie. Près de quatre cents futures recrues du Polisario passeront ainsi par ses services. « Pour financer tout cela, on recevait de l’argent d’Alger en espèces et on ne posait pas de questions », se souvient-il. Il réussit si bien que ses patrons du Front (tour à tour Mohamed Lemine, Omar Hadrami, Brahim Hakim, Bachir Mustapha Sayed, Mohamed Ould Salek : l’instabilité est de règle à la tête des relations extérieures du Polisario) l’envoient en mai 1979 ouvrir l’ambassade de Panamá, qui servira de tête de pont aux reconnaissances en chaîne de la RASD en Amérique latine. Neuf mois plus tard, Souilem est à Téhéran pour négocier avec le gouvernement islamique de l’imam Khomeiny l’établissement de relations diplomatiques. En août 1980, il est à Damas avec le même objectif, mais cette fois-ci l’opération échoue. Retour à Tindouf, puis nouveau départ, début 1981, pour l’ambassade de Luanda, en Angola. Il y restera cinq ans, armé jusqu’aux dents dans une capitale en proie à la guerre civile. Début 1986, Ahmedou Ould Souilem éprouve le besoin de souffler. Il s’installe dans le campement familial de la hamada, auprès de son père. Et il attend sa nouvelle affectation.

Une voix discordante

Entre-temps, sous la houlette de Mohamed Abdelaziz et de ses protecteurs algériens, le Front Polisario s’est structuré, durci, centralisé. Le romantisme révolutionnaire a cédé la place à une organisation militarisée qui perdurera bien après le cessez-le-feu de 1991 et au sein de laquelle il n’est nulle place pour les voix discordantes. Ould Souilem, qui critique volontiers les dérives autoritaires de la direction du Front, est de celles-là, même si le prestige dont jouit son père le protège. Nommé directeur de l’école du 9-Juin – une forme de mise au placard –, il s’oppose à la présence des agents de la sécurité militaire dans l’enceinte de l’internat et aux empiétements incessants de l’idéologue Sid Ahmed Batal, ministre de l’Éducation. En mars 1988, Souilem est limogé. Avec une quinzaine de cadres du Polisario – dont Hakim, Hadrami, Mansour Ould Omar, Mustapha Al Barazani –, il prépare ce qui sera un tournant dans l’histoire tourmentée du Front : l’intifada d’octobre 1988. Les camps se soulèvent, l’armée intervient, il y a des morts, des blessés, des prisonniers. Rendu quasi intouchable par son statut de cheikh élu des Ouled Delim, Ahmedou est épargné, alors que la plupart de ses compagnons (dont Omar Hadrami) sont incarcérés. S’ouvre alors une longue crise interne qui s’achèvera en décembre 1989 par la tenue d’un congrès au cours duquel Mohamed Abdelaziz fait d’importantes concessions. Alors que Hakim et Hadrami quittent clandestinement les camps pour rallier le Maroc, Ould Souilem reste. « Je me sentais responsable de tous ces gens que j’avais entraînés avec moi dans cette galère en 1975 et 1976, dit-il. Moralement, je ne me sentais pas le cœur de les abandonner. » L’argument vaut ce qu’il vaut, mais il est le seul que sert Ould Souilem pour expliquer le délai étonnamment long entre la rupture de 1988 et son propre ralliement : vingt et un ans.

En 1990, le voici à nouveau ambassadeur au Panamá. Puis retour au camp d’Aousserd, où il négocie avec Abdelaziz une sorte de pacte de non-agression : « Je ne me suis jamais entendu avec lui, explique Souilem. Je lui échappais tant socialement que politiquement. Je ne suis pas un griot, mais il fallait que je protège les miens. Mon père était malade. J’avais charge d’âmes, comme on dit. » Après le cessez-le-feu de 1991, il participe en tant que chef de tribu au processus d’identification en vue du référendum d’autodétermination, avant de se consacrer entièrement à ses activités d’opposant. Dès lors, il est perçu par la direction du Front comme un poison, une sorte de virus qui dénonce sans cesse le « clientélisme » et la « dictature », et va jusqu’à encourager les Sahraouis à fuir en Mauritanie ou à regagner le Sahara occidental. Entretient-il des contacts secrets avec les services marocains ? « Non, aucun, assure-t-il. Mon réseau était purement interne et intrasahraoui. » En novembre 1999, la police algérienne l’arrête à Tindouf et lui retire son passeport. Ould Souilem se réfugie au siège de la Minurso, qui lui fournit des documents de remplacement et l’assure de sa protection. Une fois de plus, Mohamed Abdelaziz tente de négocier avec lui. Les pourparlers durent des mois, sans aucun résultat. Un jour de novembre 2003, Souilem déclare sans ambages à Bachir Mustapha Sayed : « Je vais regagner ma patrie » – le Sahara occidental, autant dire, ipso facto, le Maroc. Selon lui, le frère d’El-Ouali lui aurait répondu : « Je partage tes idées, mais je ne te suivrai pas, j’ai trop d’intérêts ici. » Cette provocation volontaire est aussitôt rapportée à Abdelaziz, qui veut encore croire à une sorte de chantage de la part d’Ould Souilem : « Il n’osera pas. » Et pourtant… Après trois décennies passées dans les camps de réfugiés de la hamada, Souilem pense que la dette morale contractée auprès de ses frères est en voie d’être soldée. L’heure est venue pour lui de franchir la ligne rouge.

La fin d’une aventure

Mohamed Abdelaziz, lui, ne s’y résout pas. Fin 2007, après le congrès du Polisario à Tifariti, il nomme Ould Souilem ministre conseiller à la présidence de la RASD chargé des Pays arabes. Une rente de situation, accompagnée d’un nouveau round de négociations sous la houlette de Bachir Mustapha Sayed. Mais rien n’y fait. Un jour de mai 2009, en plein Conseil des ministres au camp de Rabbouni, Souilem fait scandale en annonçant son retour imminent à Dakhla, la ville où il est né. Dès lors, c’est un pestiféré dont on cherche à se débarrasser, qui, au vu et au su de tout le monde, fait d’abord partir sa famille en Mauritanie, puis organise sa propre exfiltration. « Tu aurais pu partir au Maroc sans le dire ! » lui reproche l’un de ses collègues du gouvernement. Mais Souilem veut agir en public afin, dit-il, de « casser le mythe du Polisario » et de « démontrer que nul ne peut nous empêcher de rentrer chez nous. Il n’y a ni fuite ni honte ». Le 25 juillet 2009, muni de son passeport diplomatique algérien, Ahmedou Ould Souilem se rend à Alger puis, de là, à Madrid. Sans prendre attache avec l’ambassade du Maroc, il téléphone à des cousins vivant à Rabat et leur demande d’annoncer son arrivée pour le 29. « Je n’ai rien négocié, ni pris de contact préalable avec aucune autorité ou service, assure -t-il. J’ai simplement fait prévenir, la veille, de mon retour. » Ce mercredi-là, il débarque à l’aéroport de Rabat-Salé, où des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur viennent l’accueillir. Le lendemain, il est reçu à Tanger par le roi Mohammed VI.

Depuis, Ould Souilem s’est rendu à plusieurs reprises au Sahara marocain et, bien sûr, chez lui, à Dakhla, qu’il a eu un peu de mal à reconnaître tant la ville s’est modernisée. Son jugement sur ses anciens camarades du Front se veut sans appel : « Le Polisario sahraoui est mort, il ne reste que le Polisario algérien. » Et d’égrener la liste de ceux qui, à son avis, ne rentreront jamais au Maroc « parce que leur vie et leur position sociale sont là-bas, et qu’ils redoutent, s’ils reviennent, d’être ramenés à leur dimension individuelle » : Mohamed Abdelaziz, Bachir Mustapha Sayed, Brahim Ghali… Quant au « front intérieur », celui ouvert au Sahara occidental sous administration marocaine par des militants indépendantistes comme Aminatou Haidar, Ali Salem Tamek ou Mohamed Daddach, Ahmedou Ould Souilem en minimise l’importance, même s’il reconnaît que certaines erreurs commises par les autorités ont pu susciter amertume et frustration parmi les Sahraouis : « Sociologiquement, ces gens ne représentent pas une alternative ; le Polisario lui-même ne les considère que comme des éclaireurs, des compagnons de route de circonstance, mais utiles à la cause. » Une cause à laquelle le futur ambassadeur de Sa Majesté affirme ne plus croire depuis plus de vingt ans, « depuis le jour où je me suis rendu compte que l’Algérie elle-même ne voulait pas de notre indépendance. Nous n’avons jamais été autre chose qu’une carte dans un jeu qui nous dépasse ».

François Soudan | Jeune Afrique



lundi 7 juin 2010

Arrestation d’un ancien gouverneur sur fond de scandale foncier

L’ancien gouverneur du district de Nouakchott Sidi Maouloud a été arrêté, dimanche, par la police qui le soupçonne d’implication dans un scandale foncier, a appris Xinhua de sources sécuritaires.

L’ancien gouverneur est accusé par la police d’avoir, au cours de son mandat, favorisé un intense trafic foncier dans le quartier de Toujounine, situé dans la partie sud-est de la capitale.

Selon la police, l’enquête préliminaire a révélé que, l’ancien wali (gouverneur) avait procédé à des attributions, par milliers, de terrains à des particuliers, à travers des intermédiaires.

Ces derniers s’étaient ainsi enrichi en réclamant frauduleusement de sommes d’argent considérables en contrepartie de la livraison de permis d’occuper falsifiés.

Les autorités mauritaniennes poursuivent depuis 2009 une vaste opération d’assainissement foncier et de redressement du plan directeur de la ville de Nouakchott qui a entraîné, récemment le tracé de plusieurs nouvelles rues et le déplacement de plusieurs milliers de familles vers des zones nouvellement assainies.

Le gouvernement mauritanien s’est fixé comme objectif d’éliminer les bidonvilles de Nouakchott.

Xinhua

dimanche 6 juin 2010

Visite surprise du ministre espagnol des Affaires étrangères

Le ministre espagnol des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos, le 6 avril 2010 à Sarajevo

NOUAKCHOTT — Le ministre espagnol des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos a effectué dimanche une visite surprise de quelques heures à Nouakchott au cours de laquelle il a été reçu par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, a-t-on appris de source diplomatique.

Le chef de la diplomatie espagnole, arrivé la mi-journée dans la capitale mauritanienne, a été immédiatement reçu par le chef de l'Etat mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz avec lequel il a eu un entretien de plus d'une heure, selon la même source.

Il a quitté Nouakchott après avoir refusé de répondre aux questions de la presse sur les raisons de sa visite, selon un journaliste de l'AFP.

Aucune indication n'a été donnée de source officielle sur la teneur des entretiens entre M. Moratinos et les autorités mauritaniennes.

Mais selon des observateurs, ces entretiens ont tourné autour du sort des otages espagnols détenus par Al-Qaïda.

Les islamistes armés retiennent toujours deux Espagnols - Albert Vilalta et Roque Pascual - enlevés le 29 novembre 2009 en Mauritanie, pour lesquels une forte rançon a été réclamée, selon une source proche du dossier.

Ces deux membres de l'ONG Barcelona Accio Solidaria sont détenus par l'un des émirs d'Aqmi, l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, alias Belawar, selon des sources concordantes.

Selon des observateurs, les responsables espagnols seraient très inquiets du sort de leurs deux ressortissants détenus par Al-Qaïda qui réclame pour leur libération un échange avec ses membres prisonniers à Nouakchott.

La justice mauritanienne a le 25 mai dernier condamné à mort trois Mauritaniens affiliés à Al-Qaïda qui sont accusés de l'assassinat de quatre touristes français fin 2007 dans le sud-est de la Mauritanie. Cinq autres prévenus, jugés pour des actes terroristes, ont également été condamnés à des peines de prison.

Père affable, enfance tranquille

Barbichette taillée avec précision, Mohamed Ould Haiba, 57 ans, est un homme affable et courtois. Il est tout juste 8 heures, les embouteillages obstruent déjà le centre de Nouakchott. Mais l’ancien officier de l’armée mauritanienne, qui a servi pendant la guerre du Sahara avant d’être formé à l’artillerie à Draguignan (sud de la France), sera ponctuel.

« Je voudrais adresser mes condoléances au peuple français », commence-t-il. La veille, la cour criminelle de Nouakchott a condamné à la peine capitale l’aîné de ses sept enfants, Maarouf Ould Haiba, pour l’assassinat de quatre touristes français, en 2007. La photo du jeune homme fait la une du quotidien qu’il a parcouru en buvant le thé matinal. « Je n’ai pas honte, c’est mon fils », dit-il doucement.

Mohamed Ould Haiba n’est pas sûr de la culpabilité de Maarouf. « Rien ne me prouve qu’il fait partie de ces gens-là », confie-t-il sans hausser le ton. Au fil de la conversation, il ajoutera, d’une voix identique : « S’il y a des preuves, ça ne me dérange pas qu’on le tue, car il a tué. Nous ne pouvons pas fuir la mort. Mais il faut qu’elle soit légale. »

Résidant à Rosso, à deux heures de route de Nouakchott, il vient souvent rendre visite à son fils en prison. « On se salue, je lui demande ce qu’il reçoit, de quoi il manque, ça dure quinze minutes. » L’épouse de Maarouf, elle, n’est pas toujours autorisée à voir son mari. « Ce n’est pas normal », souligne Mohamed calmement.

Il décrit son fils comme un « enfant tranquille ». « Je n’ai jamais remarqué quoi que ce soit », assure-t-il. A-t-il quelque part failli ? Non, à l’entendre. Pas plus que la mère de Maarouf, dont il s’est séparé en 2001. Il ne trouve pas d’explication. « J’ai toujours rempli mon rôle. Mais quand on vient de la brousse et qu’on arrive en ville, dans une nouvelle civilisation, les choses peuvent se compliquer. Le père n’est pas là, la mère aime trop ses enfants, c’est l’âge où l’on commence à faire des rencontres, alors il y a toujours des errements, des tentations, des erreurs. » Des erreurs qui peuvent coûter la vie…

Marianne Meunier



La mort au nom d'Allah


Sidi Ould Sidina (au c.), 22 ans, lors d'une rencontre avec les autorités, le 18 janvier.Sidi Ould Sidina (au c.), 22 ans, lors d'une rencontre avec les autorités, le 18 janvier.© STR/AFP

Jugés coupables de l’assassinat de quatre touristes français, en décembre 2007, trois djihadistes ont été condamnés à la peine capitale par la cour criminelle de Nouakchott. Si les trois hommes nient être les auteurs de l’attaque, ils revendiquent haut et fort leur appartenance à Al-Qaïda. Et ont exulté à l’énoncé du verdict.

Soudain, Maarouf Ould Haiba se lève et déroule un tissu noir sur lequel est inscrite en lettres blanches la profession de foi musulmane : « Il n’est de Dieu qu’Allah et Mohammed est son prophète. » À sa droite, Sidi Ould Sidina prend le relais : fixant les cinq Français de l’assistance – dont deux représentants de l’ambassade –, il mime le geste de l’égorgement. À sa gauche, Mohamed Ould Chabarnou lance ensuite en arabe, sur le ton de la menace : « Entre nous et Sarkozy de France, ce sera le glaive. »

Théâtre de cette macabre mise en scène, la grande salle sombre du palais de justice de Nouakchott, pleine aux deux tiers. Nous sommes le 25 mai, il est bientôt 17 heures. Dans une cage en bois installée pour l’occasion, huit prévenus – quatre autres sont jugés par contumace – attendent le verdict du « procès d’Aleg ». Tous sont accusés d’avoir participé à l’assassinat, le 24 décembre 2007, de quatre touristes français (dont trois d’une même famille) dans cette petite ville que longe la route de l’Espoir, à 250 km au sud-est de Nouakchott. Mais ce sont les trois « acteurs » du jour – Maarouf Ould Haiba, 28 ans, Sidi Ould Sidina, 22 ans, et Mohamed Ould Chabarnou, 29 ans – qui sont considérés comme les auteurs directs du crime.

Contrairement aux déclarations consignées dans les procès-verbaux de l’instruction, menée en 2008, le trio a nié sa participation à la fusillade. Chacun a néanmoins revendiqué haut et fort son appartenance à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et son engagement pour le djihad. « Je suis un soldat d’Allah », s’est glorifié Sidi Ould Sidina, accusant les trois magistrats d’« apostasie ». « Je n’ai pas tué, mais j’avoue que cela aurait été un grand honneur pour moi », a osé Maarouf Ould Haiba. Le 24 mai, Mohamed Ould Chabarnou s’est de son côté improvisé muezzin, exécutant un appel à la prière en pleine audience. Le même jour, le parquet requiert la peine de mort contre les trois hommes. Le lendemain, à quelques minutes de l’énoncé du verdict, aucune gravité ne se lit sur leurs visages juvéniles. Derrière sa barbe fournie et ses petites lunettes, Maarouf Ould Haiba paraît même jovial. Et, avec ses deux comparses, exulte quand, à 17 heures, solennel dans sa robe rouge et noire, le président de la cour prononce le verdict : peine de mort pour les trois hommes, six mois à trois ans de prison ou l’acquittement pour les autres.

Cette fois, à la différence des précédentes affaires jugées par la cour criminelle, les réquisitions du parquet ont été suivies. « C’est une décision logique si l’on considère la gravité des faits », commente Me El-Ghali Ould Moulaye, avocat de la famille de l’une des victimes. « J’ai l’impression que le procès était instruit d’avance », proteste, de son côté, Me Zaïm Ould Hemed Vall, avocat de Maarouf Ould Haiba, qui a fait appel dès le lendemain du verdict.

Il est vrai que le dossier d’accusation n’est pas exempt de lacunes. Une expertise balistique réalisée en France a permis d’établir que le kalachnikov retrouvé sur le lieu du crime est bien celui qui avait servi à tuer les victimes. Mais les magistrats mauritaniens, qui ont eu connaissance de cette précieuse information, n’ont pu s’y référer, car l’expertise n’a pas été versée au dossier, Paris refusant tout concours judiciaire lorsque des prévenus encourent la peine de mort. Autre zone d’ombre : les condamnés affirment que leurs aveux leur ont été arrachés sous la torture. Difficile, dans ces conditions, de s’appuyer dessus. Aucun témoin n’est venu à la barre. Aucune pièce à conviction n’a été apportée. Bouclé en trois jours, le procès a été expéditif. Au début de l’année, le jugement d’une affaire de trafic de drogue, qui s’est notamment soldé par la condamnation d’un Français à quinze ans d’emprisonnement, s’était étalé sur quinze jours.

Un signal fort

Par ce procès, les autorités ont voulu envoyer un signal clair aux djihadistes en herbe : pas de pitié pour les crimes de sang au nom d’Allah. Avec ses 3 millions d’habitants répartis sur un territoire de 1 million de km2 (deux fois la France), des frontières poreuses en plein Sahara, une armée qui commence tout juste à être formée à la lutte antiterroriste, la Mauritanie est une cible idéale pour les djihadistes. La pauvreté – plus de 50 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour – est aussi un terreau rêvé pour les intermédiaires d’Aqmi, qui font miroiter à leurs futures recrues la gloire et le paradis.

La « tolérance zéro » est une nouveauté. La peine de mort n’a pas été appliquée depuis 1987 (trois officiers avaient été fusillés pour tentative de putsch). La population comme certains responsables politiques n’y sont pas favorables. Le chef de l’État d’avril 2007 à août 2008, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, considérait les attentats revendiqués par Aqmi comme des actes « isolés ». Aux commandes depuis août 2008, son successeur, Mohamed Ould Abdelaziz, ancien général, « a, lui, conscience de la menace », selon un diplomate.

La période du déni est donc révolue. Des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises pour le « procès d’Aleg ». Visage cagoulé, bouclier en main, des policiers antiémeutes étaient postés sur les marches du palais de justice. Le public a dû se plier à trois fouilles au corps successives avant de pouvoir pénétrer dans la salle. Téléphones portables et sacs étaient proscrits. Autres signes révélateurs dans un pays où la communication n’est pas toujours une priorité : les journalistes étrangers ont pu assister sans difficulté au procès, et l’énoncé du verdict a été lu à la télévision et à la radio.

Il n’est pas dit qu’il aura l’effet dissuasif escompté. Vingt-trois ans après les dernières exécutions capitales, beaucoup doutent que la sentence soit appliquée. Peut-être Maarouf Ould Haiba, Sidi Ould Sidina et Mohamed Ould Chabarnou mettront-ils aussi à profit leur sens de la mise en scène pour se poser en martyrs. Depuis qu’ils sont incarcérés dans leurs cellules de la prison centrale, de l’autre côté de l’avenue Nasser, qui longe le palais de justice, ils communiquent avec l’extérieur grâce à des téléphones portables, suivent attentivement les récits des médias et savourent leur triomphe. À moins que la perspective d’une pendaison finisse par refroidir « ces esprits mystérieusement sortis de la réalité », dixit un proche du pouvoir pour qui le « procès d’Aleg » est un « test ».

Marianne Meunier