mercredi 28 juillet 2010

10 questions sur les terroristes islamistes au Sahel

Dominique Lagarde et Jean-Michel Demetz

Au moment où Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) vient de frapper, voici les réponses aux interrogations que soulève la nébuleuse djihadiste.

"Un acte barbare et odieux" qui a visé une "victime innocente qui aidait les populations locales". En confirmant lui-même la mort de Michel Germaneau, 78 ans, otage aux mains d'Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI), Nicolas Sarkozy a mis en lumière ces islamistes de la zone sahélienne qui rêvent d'en découdre avec l'Occident et d'écrire sur cette partie du continent africain un épisode du choc des civilisations. Qui sont ces fous d'Allah, tour à tour combattants et adeptes de la prise d'otage?

1. Quand et comment AQMI est-il né?

AQMI a été créé en janvier 2007. Elu à la tête de l'Etat algérien en avril 1999, le président Abdelaziz Bouteflika réussit dans les années qui suivent à convaincre la plupart des groupes armés de rendre les armes. Un seul s'y refuse: le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), né en 1998. Son émir, Abdelmalek Droukdel, un ancien électronicien, décide alors de se rapprocher d'Al-Qaeda. L'affiliation du GSPC à la centrale terroriste est confirmée en septembre 2006 parAyman al-Zawahari, l'un des principaux lieutenants d'Oussama ben Laden. En janvier 2007, le GSPC troque son intitulé contre celui d'Al-Qaeda pour le Maghreb islamique.

2. Que sait-on des liens actuels entre AQMI et Ben Laden?

La structure en étoile d'Al-Qaeda laisse une large autonomie d'action aux mouvements périphériques. Mais il ne fait guère de doutes que Ben Laden rêverait de s'offrir un nouveau front en Afrique et de créer un "Waziristan sahélien" - du nom des zones tribales pakistanaises qui échappent largement au contrôle du pouvoir central. En 2002, déjà, les forces de sécurité algériennes avaient abattu le Yéménite Imad Abd-al-Wahid Ahmed Alwan (nom de guerre: Abou Mohammed), dépêché d'Afghanistan par le Saoudien. Depuis, le retour de "combattants" maghrébins et sahéliens d'Irak a coïncidé avec le regain de violence en Afrique. AQMI souhaite inscrire sa lutte dans le djihad global. Ainsi, la cellule qui avait kidnappé, en janvier 2009, le Britannique Edwin Dyerréclamait-elle la libération du Palestinien Abou Qatada, qualifié par un juge espagnol de lieutenant d'Al-Qaeda pour l'Europe.

3. Que sait-on d'Abdelmalek Droukdel?

Agé de 40 ans, cet Algérien né dans la région de Blida, connu aussi sous le nom de guerre d'Abou Mossaab Abdelouadoud, a été condamné par contumace à la prison à vie par un tribunal algérien en 2007. Soumis à des sanctions onusiennes, recherché par Interpol, cet ingénieur de formation passé à la lutte armée après l'interruption des élections en passe d'être gagnées par les islamistes du FIS, en 1992, a engagé une lutte à mort contre le pouvoir algérien, constitué, selon lui, d'"apostats, de fils de chiens, de traîtres au service de la France".

4. Où opère AQMI?

En Algérie même, sa base territoriale demeure limitée à quelques gouvernorats, principalement en Kabylie. Mais sa branche saharienne, aux confins de la Mauritanie, du Niger et du Mali, de la Libye et du Sud tunisien, dispose d'un important réseau transfrontalier. Pour Al-Qaeda, ces territoires jusqu'ici inexplorés devenaient terres de djihad. La nébuleuse est organisée en petites cellules disséminées. Ainsi, le groupe visé par l'opération militaire mauritanienne avec soutien français du 22 juillet ne compterait guère plus de 400 combattants autour de l'Algérien Abdelhamid Abou Zeid.

10 questions sur les terroristes islamistes au Sahel

AFP PHOTO/HO/SITE Intelligence Group

Roque pascual et Albert Vilalta sont encore détenus par une cellule d'AQMI, qui réclamerait une rançon et la libération d'islamistes emprisonnés en Mauritanie.

5. Quelles sont les cibles d'AQMI?

Les premiers attentats revendiqués par AQMI, en 2007, visent l'Algérie:le 11 avril, trois attaques coordonnées frappent le palais du gouvernement, un commissariat de police et une caserne de gendarmerie ; le 11 juillet, une camionnette bourrée d'explosifs fonce sur une caserne à Lakhdaria; en septembre, à Batna, le président Bouteflika est victime d'une tentative d'attentat; en décembre, le Conseil constitutionnel et des bureaux des Nations unies sont visés, à Alger. Mais cette stratégie urbaine échoue. AQMI va alors se spécialiser dans la chasse aux ressortissants occidentaux, notamment dans la zone saharo-sahélienne, où la sécurité est particulièrement précaire. Le 24 décembre 2007, quatre touristes français sont assassinés dans l'est de la Mauritanie. Menacé, le Paris-Dakar 2008, doit être annulé. Le 22 février 2008, ce sont deux touristes autrichiens qui sont enlevés dans le Sud tunisien puis transféré dans le désert algérien. Ils seront finalement libérés par l'armée malienne. Mais, en décembre 2008, deux diplomates canadiens sont enlevés au Niger, puis, en janvier 2009,quatre touristes européens sont kidnappés, à la frontière entre le Mali et le Niger. Tous seront libérés, sauf un, le Britannique Edwin Dyer, dont la mort est annoncée en juin 2009. En novembre 2009, AQMI revendique l'enlèvement de trois Espagnols en Mauritanie, puis, au Mali cette fois, d'un Français de 61 ans, Pierre Camatte, un humanitaire qui a développé la culture d'une plante thérapeutique contre le paludisme. Enfin, le 26 juillet, l'Elysée confirme la mort de Michel Germaneau, enlevé le 19 avril dans le nord du Niger.

6. Quels sont les objectifs d'AQMI?

A l'origine, Abdelmalek Droukdel souhaitait, en adhérant à Al-Qaeda, transformer ce qui était jusque-là un combat limité au contexte algérien en djihad global. Il s'était engagé auprès de la direction d'Al-Qaeda à réunir sous sa houlette plusieurs mouvements djihadistes maghrébins. Cet objectif a largement échoué, malgré quelques tentatives avortées au Maroc et en Tunisie. D'où l'évolution de ces dernières années vers un djihad nomadisant et sahélien qui, bien souvent, relève du brigandage. Les prises d'otage permettent à AQMI d'attirer l'attention internationale, de gagner en prestige au sein du monde musulman et de se constituer un trésor de guerre grâce aux rançons versées à chaque libération.

7. La France est-elle particulièrement menacée?

En juin 2009, Droukdel, lui-même, a menacé de "guerre" la France si elle interdisait le port de la burqa. La république laïque est, aux yeux des islamistes, une cible de choix. D'autant que l'ancienne puissance coloniale reste influente dans cette région d'où provient une immigration incontrôlée. Pour toutes ces raisons, Nicolas Sarkozy appelle "instamment" ses compatriotes à éviter le Sahel.

8. Pourquoi le Sahel est-il devenu une "zone grise"?

Parce qu'il est pauvre et difficile à contrôler. Ce vaste territoire, à cheval sur huit Etats, dominé par des structures tribales, est devenu le carrefour de tous les trafics. Les populations nomades, largement abandonnées par leurs gouvernements, qui privilégient les ethnies paysannes du Sud, n'opposent guère de résistance aux combattants d'AQMI, qui sollicitent leur coopération en échange de quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Et les jeunes Sahéliens ne demandent pas mieux que de leur prêter main-forte. Le pouvoir d'attraction d'AQMI au Sahel est d'abord celui de l'argent. Et sa liberté de mouvement tient à l'incapacité des Etats concernés à contrôler ce territoire. En dehors de l'Algérie, les armées de ces pays sont faibles et mal équipées. Après la contrebande de tabac, l'essor du trafic de drogue, expédiée par les cartels d'Amérique latine avant de repartir à destination de l'Europe, contribue à affaiblir les structures sécuritaires. Qui peut résister à une corruption à une telle échelle?

9. Le Sahel sert-il de base arrière pour frapper l'Europe?

Pas encore. Jusqu'à présent, en Europe, Al-Qaeda cible plutôt les jeunes de la seconde génération, qu'elle recrute sur Internet. Mais les responsables de la sécurité en Occident ne cachent pas leur inquiétude. Directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur, Bernard Squarcini déclarait dans un entretien à Politique internationale, ce printemps: "Dans notre pays, la menace islamiste reste à un niveau très élevé. Surtout celle qui vient d'AQMI. [...] En quinze ans, malgré les efforts des différents services, malgré les progrès de la coopération internationale, l'islamisme militant a gagné de nouveaux pays." Et de citer le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Sénégal. "Dans quinze ans, le danger sera peut-être descendu encore plus au sud", prévient-il.

10. Comment les Occidentaux peuvent-ils riposter?

"Le crime commis contre Michel Germaneau ne restera pas impuni", a conclu le président de la République dans son allocution du 26 juillet. Mais que faire? Outre le renseignement, la clef réside sans doute dans la formation des armées africaines et, en leur sein, d'unités antiterroristes. Paris soutient le pouvoir mauritanien, absous, au nom de la lutte antiterroriste, de son accession au pouvoir en 2008 par la voie putschiste. Washington mise sur l'armée algérienne, qu'il rêve de transformer en pivot de son système de sécurité régionale. Un pari de long terme. En attendant, les Etats-Unis, inquiets du risque de déstabilisation, ont créé en 2007 un état-major régional, Africom. Jusqu'alors, l'Afrique dépendait de l'état-major européen. En association avec dix pays de la région, les Etats-Unis ont lancé l'opération Enduring Freedom Trans-Sahara - en référence directe aux opérations en Afghanistan, baptisées Enduring Freedom. Les pays de la région ont promis de coopérer entre eux contre la menace commune.

lexpress.fr

Le territoire "sous contrôle", l'armée redéployée contre Al-Qaïda

Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner (d) Nouakchott aux côtés de l'ambassadeur de France en Mauritanie Michel Vandepoorter, le 26 juillet 2010

NOUAKCHOTT — Le territoire mauritanien est "sous contrôle" et l'armée a été redéployée en plusieurs endroits du pays dans le but de renforcer le combat contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), a affirmé le ministre mauritanien de l'Intérieur.

"Le territoire mauritanien est sous contrôle après le redéploiement de l'armée dans le pays et l'instauration de 45 points de passage frontaliers", destinés à mieux contrôler les entrées, en particulier depuis l'Algérie et le Mali, a déclaré mardi soir le ministre, Mohamed Ould Boilil.

Carte d'Afrique délimitant le Sahel et situant le sanctuaire et la zone d'activité directe d'Al Qaïda dans la région

Aqmi opère au Sahel, immense zone semi-désertique aux confins du Niger, du Mali, de la Mauritanie et de l'Algérie.

M. Ould Boilil a ajouté que "des mesures ont été prises pour améliorer les performances et les conditions des personnels travaillant dans le secteur de la sécurité nationale".

Il faisait en particulier allusion à l'augmentation des salaires dont ont bénéficié cette année les forces de sécurité mauritaniennes.

Le ministre, qui s'exprimait après une visite du nouveau siège à Nouakchott de la direction générale de la sûreté nationale, a assuré que "les relations de la Mauritanie avec tous les pays (de la région) sont bonnes".

Il a appelé "les citoyens à assumer leur responsabilité envers leur patrie et à accompagner les mutations que connaît le pays".

L'armée mauritanienne a mené jeudi avec l'appui de la France un raid contre une unité d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en territoire malien qui a fait sept morts dans les rangs de cette organisation.

Selon la France, l'opération franco-mauritanienne visait à libérer l'otage français Michel Germaneau, détenu depuis avril par Aqmi qui a annoncé avoir exécuté samedi le Français pour venger ses membres tués lors de ce raid.

Le gouvernement mauritanien affirme que cette opération avait pour seul objectif de prévenir une attaque d'Aqmi sur son territoire, programmée le 28 juillet.

La majorité présidentielle a dit apporter un "soutien sans faille" à l'armée face à Aqmi et a proné une coopération régionale contre Aqmi.

La Coalition des partis de la majorité (CPM) salue "la coordination entre les Etats de la sous-région en matière de lutte contre le terrorisme et considère que cette coordination constitue le meilleur moyen de lutte contre ce phénomène", a dit un de ses responsables, M. Moctar Ould Dahi, secrétaire permanent de l'Union pour la République (UPR), le parti présidentiel.

mardi 27 juillet 2010

Trois mois de rebondissements, une conclusion funeste

L'enlèvement, le 19 avril au Niger, puis l'assassinat du Français Michel Germaneau restent entourés de nombreuses zones d'ombre. Retour sur les développements liés à son rapt.

19 avril : Un Français et son chauffeur algérien sont enlevés dans le nord du Niger, près de la frontière algérienne, par un groupe se réclamant d'Al-Qaida. Le rapt est confirmé quelques jours plus tard par le gouvernement nigérien, puis le 26 avril par Paris, qui ne précise pas toutefois l'identité de l'otage.

29 avril : Le chauffeur algérien est libéré, selon des sources sécuritaires nigériennes, qui affirment que l'otage français est "dans le désert côté malien" avec ses ravisseurs.

6 mai : Le groupe Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) revendique le rapt du Français, selon la chaîne de télévision Al-Jazira. Selon le communiqué d'AQMI cité par Al-Jazira, le groupe a demandé "à la France et à ses alliés dans la région la libération de ses détenus" en contrepartie de celle du ressortissant français.

14 mai : AQMI diffuse un enregistrement sonore et une photo présentés comme ceux du Français enlevé. Dans ce message, l'otage se présente comme Michel Germaneau, âgé de 78 ans. Retraité, sans conjoint ni enfant, il était parti au Niger pour le compte d'une petite association, Enmilal, spécialisée dans l'éducation et la santé. Dans l'enregistrement vidéo où il explique être malade, il s'adresse au président français pour lui demander d'œuvrer à sa libération.

16 mai : Le chauffeur algérien de Michel Germaneau est inculpé et écroué au Niger pour"complicité d'enlèvement".

9 juin : Le ministre de la défense mauritanien affirme qu'il n'est "pas question pour la Mauritanie" de libérer des membres d'AQMI pour obtenir la libération d'otages occidentaux.

11 juillet : AQMI publie un message à l'attention de Paris dans lequel il menace de tuer le Français si Paris ne répond pas à ses demandes d'ici quinze jours, selon le centre américain de surveillance des sites islamistes. La France affirme n'avoir reçu "aucune demande" des ravisseurs, en indiquant toutefois prendre "très au sérieux" l'ultimatum.

22 juillet : Selon le Quai d'Orsay, les ravisseurs ont refusé jusqu'à présent tout contact avec les autorités françaises. La présidente d'Enmilal indique n'avoir eu "aucune nouvelle" de la situation de l'otage depuis l'ultimatum.

23 juillet : L'armée mauritanienne mène une opération contre "une base" d'Al-Qaida "dans le désert" et y tue des "terroristes armés". Paris confirme avoir apporté "un soutien technique et logistique" à l'opération mauritanienne contre un groupe d'AQMI, impliqué dans la détention de l'otage français.

25 juillet : Dans un enregistrement sonore diffusé dans la soirée par la chaîne Al-Jazira, AQMI déclare avoir exécuté Michel Germaneau : "Nous annonçons avoir exécuté l'otage français dénommé Michel Germaneau, samedi 24 juillet, pour venger nos six frères tués dans la lâche opération de la France", aux côtés des forces mauritaniennes contre une unité d'Al-Qaida, a déclaré le chef de l'organisation, Abou Moussab Abdel Wadoud.

26 juillet : Nicolas Sarkozy confirme dans la matinée la mort de l'otage français. "Je condamne cet acte barbare, cet acte odieux qui a fait une victime innocente qui consacrait son temps à aider les populations locales", a-t-il déclaré, en promettant que ce crime "ne restera pas impuni".

En Mauritanie, Bernard Kouchner promet de poursuivre la lutte contre le terrorisme

L'ambassadeur de France en Mauritanie (Michel Vanderpoorter) et le ministre des affaires étrangères (Bernard Kouchner), le 26 juillet 2010 à Nouakchott.
AFP/Watt Abdel Jelil
L'ambassadeur de France en Mauritanie (Michel Vanderpoorter) et le ministre des affaires étrangères (Bernard Kouchner), le 26 juillet 2010 à Nouakchott.

Les "efforts communs" de la France et de la Mauritanie "vont se poursuivre" dans la lutte contre "les terroristes", a affirmé lundi 26 juillet à Nouakchott (capitale de la Mauritanie) le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, à sa sortie d'un entretien avec le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz.

Des militaires français et mauritaniens avaient mené le 22 juillet une opération conjointe contre un camp d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) au Mali, dont la France pensait qu'il abritait l'otage français Michel Germaneau. La branche terroriste avait ensuite annoncé l'exécution de cet homme de 78 ans, en représailles de la mort de sept de ses membres lors de cette opération. Nicolas Sarkozy a confirmé la mort de Michel Germaneau lundi matin.

TOURNÉE DE TROIS JOURS

"Il y a des pressions et des paroles de dictature des terroristes et ce n'est pas acceptable", a déclaré le ministre français, arrivé dans la soirée à Nouakchott. "C'est une lutte difficile que votre pays a entamée. La Mauritanie peut compter sur le soutien de la France dans son combat contre l'extrémisme", a assuré Bernard Kouchner. "La bande sahélo-saharienne ne sera pas laissée aux bandes terroristes, aux trafiquants d'armes et de drogue", a-t-il affirmé.

Bernard Kouchner a également indiqué que si la France n'interdisait pas à ses ressortissants de se rendre en Mauritanie, il fallait malgré tout"prendre des précautions" en cas de voyage sur place. Le ministre doit également se rendre à l'ambassade de France pour y rencontrer des membres de la communauté française de Mauritanie. Après le Mali, le chef de la diplomatie française se rendra au Niger avant de regagner Paris dans la nuit de mardi à mercredi.

Le terrorisme islamiste au cœur de l'agenda des pays africains

Détenu depuis le mois d'avril quelque part au Mali, Michel Germaneau a été tué par ses ravisseurs islamiques aux cours du week-end.

Simple coïncidence de l'actualité ou symptôme d'une "islamisation" du continent africain ? Au moment même où était annoncée, dimanche 25 juillet, l'exécution de l'otage français Michel Germaneau enlevé le 19 avril au Niger par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), une trentaine de chefs d'Etat de l'Union africaine (UA) étaient réunis à Kampala (Ouganda) pour préparer la riposte après les attentats revendiqués par les Shabab, des islamistes agissant en Somalie qui, le 11 juillet, ont causé la mort de 76 personnes dans la capitale ougandaise.

Les chefs d'Etat africains, dont la réunion doit s'achever mardi, devraient décider de renforcer l'Amisom, la Force de l'UA déployée en Somalie, contre les Shabab, qui contrôlent presque la totalité de ce pays dépourvu d'Etat depuis près de vingt ans. Les 6 000 soldats ougandais et burundais déjà présents dans la capitale, Mogadiscio, devraient recevoir 2 000 hommes en renfort. Un nouveau mandat leur permettant de passer à l'offensive devrait leur être donné. Les Occidentaux devraient fournir des hélicoptères et l'Afrique du Sud un appui naval pour assurer un blocus du port de Kismayo qui, contrôlé par les islamistes, est la principale entrée pour les armes et les munitions.Le sommet de Kampala, prévu de longue date, devait être consacrée à la lutte contre un autre fléau africain, la mortalité maternelle et infantile. Mais son ordre du jour a été bouleversé. "Ces terroristes peuvent et doivent être vaincus, a lancé dimanche le président ougandais, Yoweri Museveni. Agissons de concert pour les chasser d'Afrique. Qu'ils repartent en Asie ou au Moyen-Orient d'où certains viennent d'après ce que je comprends".

L'UA CONDAMNE L'ASSASSINAT DE MICHEL GERMANEAU

Alors que les auteurs des attentats de Kampala revendiquaient le départ des troupes africaines de Somalie, leurs actes vont produire l'effet inverse. Mais la stratégie militaire suivie par l'UA avec le soutien américain et français, consistant à défendre le "gouvernement fédéral de transition" somalien fragile et corrompu, retranché dans quelques quartiers de Mogadiscio, est critiquée. Chacun a en mémoire la façon tragique dont l'armée américaine s'est cassé les dents en Somalie en 1993. Si les soldats de l'Amisom utilisent leurs nouveaux moyens de façon indiscriminée, "ils risquent de faire le jeu des Shabab" en faisant de nombreuses victimes civiles, estime Ernst Jan Hogendoorn, expert de l'International Crisis Group, une ONG spécialisée dans la prévention des conflits cité par l'AFP.

Focalisé sur la contagion islamiste en Afrique de l'Est, le sommet de Kampala ne s'est guère mobilisé sur la situation dans la zone sahélo-saharienne où a été tué l'otage français. Sa condamnation de cette exécution a été néanmoins "très énergique" : "Rien ne peut justifier l'exécution d'un otage, et certainement pas le refus de payer une rançon ni une opération légitime qu'un pays de la région peut conduire avec ses propres moyens et l'assistance d'une tierce partie", a déclaré, lundi, Ramtane Lamamra, commissaire à la paix et à la sécurité de l'UA."Al-Qaida a montré le peu de respect [qu'il avait] pour la vie humaine (...). Ceci est une démonstration supplémentaire de ce comportement tout à fait barbare et inacceptable".

Les responsables africains présentent les combattants islamistes comme des étrangers à leur continent, venus notamment d'Afghanistan et du Pakistan. "Ces groupes ne partagent pas les valeurs de solidarité et de partage de l'Afrique", affirme ainsi Boubacar Diarra, représentant spécial en Somalie de Jean Ping, président de la Commission de l'UA, interrogé sur RFI. Pourtant, il est avéré que des Algériens figurent parmi les responsables de l'AQMI, appellation adoptée en 2007 par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien. Le rôle de certains chefs touareg dans l'enlèvement et la "revente" des otages aux islamistes est tout aussi connu.

D'autres réalités attestent d'une certaine porosité à l'islamisme de certaines sociétés africaines. En juillet 2009, la secte islamiste Boko Haram se réclamant des talibans afghans a tenté d'instaurer un Etat islamiste dans le nord du Nigeria. La répression de ce soulèvement a causé la mort de 800 personnes. Quant au président malien, Amadou Toumani Touré, il a dû suspendre l'examen de la réforme du code de la famille qu'il souhaitait engager afin d'assurer une meilleure égalité entre hommes et femmes, après les manifestations inédites organisées, durant l'été 2009 par des responsables musulmans contre ce projet "inspiré par l'Occident".

Philippe Bernard

Paris justifie son intervention au Sahel pour tenter de libérer Germaneau


Nicolas Sarkozy, qui a confirmé la mort de Michel Germaneau, a dénoncé, lundi, un acte "barbare et odieux".
AFP/ERIC FEFERBERG
Nicolas Sarkozy, qui a confirmé la mort de Michel Germaneau, a dénoncé, lundi, un acte "barbare et odieux".

Le chef de l'Etat a confirmé, au cours d'une intervention télévisée lundi 26 juillet, la mort auSahel de Michel Germaneau, revendiquée dimanche 25 juillet par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Le président de la République a dénoncé un "acte barbare, odieux", le qualifiant d'"assassinat programmé", à l'issue d'un "conseil restreint de défense et de sécurité", en présence du premier ministre, des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur, ainsi que des responsables de la défense et des services du renseignement.

Trois Français sont actuellement retenus en otages à l'étranger. Depuis le 14 juillet 2009, un agent des services du renseignement français, Denis Allex, est détenu en Somalie par le mouvement islamiste des Chebabs. Il se trouve probablement dans la région autonome autoproclamée du Puntland dans le nord du pays.

Depuis le 30 décembre 2009, deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, sont otages en Afghanistan. Les reporters, qui travaillent pour le magazine "Pièces à conviction", ont été enlevés avec leurs trois accompagnateurs afghans à 60 kilomètres de Kaboul, dans la province montagneuse de Kapisa, zone réputée à risques. – (Avec AFP.)"Cette mort dans des conditions tragiques illustre que nous avons affaire à des gens qui n'ont aucun respect de la vie humaine. (...) Depuis l'enlèvement de Michel Germaneau, tous les moyens étaient mobilisés pour tenter de le libérer", a assuré le président. Paris avait le"devoir" de mener le raid au Mali pour tenter de sauver Michel Germaneau, a expliqué M. Sarkozy, évoquant une "action préventive". "Le camp de base qui a été détruit était susceptible d'être le lieu de détention de Michel Germaneau. Malheureusement Michel Germaneau ne s'y trouvait pas. Aujourd'hui il est mort." Le président, qui assure que "le crime commis contre Michel Germaneau ne restera pas impuni", a demandé aux ressortissants français de renoncer à se rendre au Sahel.

PAS DE REVENDICATIONS PRÉCISES

Les circonstances de l'enlèvement et de la mort de l'humanitaire français restent floues : le maire socialiste de Marcoussis (Essonne), où résidait Michel Germaneau, s'est ainsi interrogésur les "zones d'ombre" entourant l'exécution de l'otage. Il sera reçu jeudi par François Fillon. La première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, a pour sa part estimé que "les conditions effroyables de la détention et de l'exécution" de Michel Germaneau "devront être éclaircies".

Selon le président français, l'"ultimatum" lancé par AQMI le 12 juillet, dans lequel le groupe menaçait de tuer l'otage sous quinze jours si Paris ne répondait pas à ses exigences, n'avait"jamais été précédé du moindre début de dialogue avec des autorités françaises", à l'inverse de ce qui s'était produit lors de l'enlèvement d'un autre Français dans la région,Pierre Camatte. Ce dernier avait été détenu près de trois mois dans le désert malien par un groupe d'AQMI, avant d'être relâché en février dernier, en échange de la libération de quatre islamistes détenus au Mali.

"UNE DÉCISION COLLECTIVE"

Le ministre français de la défense, Hervé Morin, a confirmé lundi sur France Inter que Paris n'avait pas pu avoir "la moindre discussion"avec les ravisseurs de Michel Germaneau. "Ils ont même refusé toute discussion pour permettre l'acheminement de médicaments dont Michel Germaneau avait besoin pour ses problèmes cardiaques." M. Morin est revenu sur l'intervention au Mali, la semaine dernière, au côté de l'armée mauritanienne, "une décision collective qui engage le président de la République et le gouvernement dans son ensemble".

Actuellement en déplacement officiel en Asie, le ministre de la défense a décidé d'écourter son séjour, annulant l'étape prévue en Indonésie. Le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, devait quant à lui se rendre dès lundi soir au Mali, au Niger et en Mauritanie.

La France défend sa stratégie malgré la mort de Michel Germaneau

PARIS (Reuters) - La France affirme ne pas avoir changé de stratégie en matière d'otages, en réponse aux interrogations sur le décès de Michel Germaneau revendiqué par l'organisation Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Le Premier ministre, François Fillon, a expliqué que Paris privilégiait toujours la négociation sauf quand la "ligne rouge" de la vie de l'otage était franchie, comme c'était le cas ici.

"La ligne que l'on s'est fixée avec le président de la République, c'est négocier, en se fixant des lignes rouges - notamment lorsque la vie de l'otage est directement menacée", a-t-il expliqué sur Europe 1.

Le Parti socialiste a assuré qu'il ne polémiquerait pas avec le gouvernement sur la décision d'avoir tenté une opération de force qui a finalement échoué, l'otage français ne se trouvant pas dans le campement attaqué au Mali.

Mais une partie de la gauche et des proches de la victime s'interrogent sur la légitimité d'une opération menée par des troupes franco-mauritaniennes en territoire malien, à l'insu de Bamako selon des responsables maliens.

En déplacement à Bamako, où il a rencontré le président malien Amadou Toumani Touré, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a évoqué une coopération renforcée avec les pays de la région pour contrer AQMI.

"Et pour ça, il y a un état-major à Tamanrasset (en Algérie- NDLR), et l'état-major malien qui a été affilié à Tamanrasset est sur place", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.

Organisation islamiste radicale composée de quelques centaines d'hommes opérant au Sahel, AQMI a intégré il y a trois ans le réseau d'Oussama ben Laden.

"RAID DE LA DERNIÈRE CHANCE"

Nicolas Sarkozy a confirmé lundi l'"assassinat de sang-froid" de Michel Germaneau, ingénieur retraité de 78 ans travaillant dans le secteur humanitaire qui avait été enlevé il y a trois mois au Niger.

A l'instar du président de la République, François Fillon a promis mardi de "traquer" ses ravisseurs tout en excluant l'idée d'une vengeance.

Le Premier ministre a justifié le raid "de la dernière chance" mené jeudi au Mali par les Mauritaniens avec l'appui de forces françaises par la conviction que l'otage était condamné depuis l'ultimatum de ses ravisseurs, qui expirait lundi.

Le corps de Michel Germaneau, l'un des rares otages français morts en captivité, n'a pas été retrouvé. Selon Bernard Kouchner, le vieil homme aurait été exécuté à une date inconnue, "très loin" de la zone du raid mené pour le libérer.

A la demande de Nicolas Sarkozy, le ministre a entamé lundi une tournée qui après le Mali le conduira en Mauritanie et au Niger pour examiner les mesures de sécurité à prendre pour les ressortissants français, au nombre de 9.000 environ dans la région.

Le raid mené contre un camp d'AQMI en territoire malien, qui a fait six morts côté insurgés, fait débat, notamment quant à savoir si Michel Germaneau était vivant au moment de son déclenchement.

Les autorités françaises affirment ne jamais avoir pu entrer en contact avec les ravisseurs, à la différence de Pierre Camatte, libéré en février après trois mois de captivité au Sahel.

"ÉCHEC DE L'OPÉRATION"

Bamako a fait part de son irritation d'avoir été tenu à l'écart de l'opération franco-mauritanienne menée sur son sol.

"Le Mali a négocié et assuré la libération de Pierre Camatte dans les conditions que l'on connaît. Nous ne comprenons pas pourquoi, dans le cas de Germaneau, la France nous laisse de côté et lance une opération militaire avec la Mauritanie, qui s'est révélée un échec", dit-on au ministère de la Défense.

"Tout le monde sait que l'échec de l'opération a garanti la mort de l'otage", estime-t-on de même source, ajoutant que le raid dépassait le cadre de l'accord sur le "droit de poursuite" passé avec la Mauritanie. "Ils ne pourchassaient pas quelqu'un au Mali. C'était une véritable opération militaire impliquant des forces aériennes et terrestres", souligne-t-on.

"Ce n'était pas une poursuite, mais un acte de guerre".

Selon une source au ministère français de la Défense les autorités maliennes ont été "bien entendu" prévenues.

Cela fait des années qu'un otage français n'était pas mort en captivité.

Avant Michel Germaneau, Michel Seurat, chercheur au CNRS, était décédé en 1986, un an après son enlèvement au Liban. En 2006, le corps de la Franco-Colombienne Aïda Duvaltier a été retrouvé en Colombie, cinq ans après son enlèvement.

Trois Français sont actuellement otages à l'étranger: Denis Allex, un agent de renseignement en mission d'assistance enlevé le 14 juillet 2009 en Somalie, et les journalistes de France 3 Nicolas Ghesquière et Stéphane Taponier, capturés fin décembre dernier en Afghanistan.

Elizabeth Pineau, avec Gérard Bon à Paris et Tiemoko Diallo à Bamako, édité par Gilles Trequesser

Al Qaeda au Sahel détient aussi deux otages espagnols

Al Qaeda au Sahel détient aussi deux otages espagnols

Roque Pascual et Albert Vilalta sont encore détenus par une cellule d'AQMI, qui réclamerait une rançon et la libération d'islamistes emprisonnés en Mauritanie.

AFP PHOTO/HO/SITE Intelligence Group

Marie Simon

Après le raid mauritanien mené contre Al Qaeda au Maghreb islamique et la mort de Michel Germaneau, Madrid a les yeux rivés sur le Sahel.

L'Espagne a condamné "de la façon la plus ferme" l'assassinat de Michel Germaneau, tué par Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) ce samedi, à la suite d'un raid mauritanien appuyé par des forces françaises. Mais, même si le ministère espagnol des Affaires étrangères a apporté son "appui entier" à la France dans cette affaire, la solidarité de Madrid avec la stratégie française pourrait s'effriter si elle venait à nuire aux intérêts espagnols. Car, alors qu'AQMI prétend avoir assassiné son otage français pour "venger" sept de ses membres tués lors de ce raid, Madrid s'inquiète pour deux de ses ressortissants.

Albert Vilalta et Roque Pascual, des travailleurs humanitaires de l'association catalane Accio Solidaria, avaient été enlevés fin novembre 2009 par un homme que le quotidien ABC présente comme un "mercenaire d'Al Qaeda", avant d'être remis à AQMI. Ils se trouvent toujours aux mains de la katiba de Mokhtar Belmokhtar, quelque part dans l'immensité du Sahel.

Deux katibas, un motif d'espoir pour les Espagnols

Ils "vont bien", d'après les dernières informations reçues par le gouvernement Zapatero. Mais leur ONG craint le pire pour eux. "Non seulement, la réaction de ces gens est imprévisible. Mais l'opération militaire est aussi une action problématique qui pourrait obstruer les négociations" menées par l'Espagne (lire l'encadré), a expliqué son directeur, Francesc Osan, au quotidien El Mundo.

Un précédent heureux

Al Qaeda au Sahel détient aussi deux otages espagnols

REUTERS/Albert Gea

Alicia Gamez, leur collaboratrice, a été libérée.

Le travail de l'ombre effectué par Madrid avait abouti dans le cas d'une collaboratrice de la même ONG, Alicia Gamez, enlevée au même moment et libérée en mars dernier. A l'époque, le gouvernement avait nié avoir payé une rançon alors que, selonEl Mundo, 2 millions de dollars auraient été versés.

La presse espagnole, commeEl Pais, souligne cependant une différence de poids entre Michel Germaneau et les deux otages catalans. Le Français était détenu par une autre katiba, celle d'Abou Zeid, décrite comme "plus ambitieuse géographiquement, et encore plus expéditive dans ses méthodes", par Jean-Pierre Filiu, spécialiste d'Al Qaeda dans un entretien accordé à LEXPRESS.fr en fin de semaine dernière.

Ce groupe, d'après les autorités françaises, avait fixé un ultimatum à la France mais n'a jamais fait état de demandes précises permettant d'"échanger" Michel Germaneau. Dans le cas de Albert Vilalta et Roque Pascual, en revanche, la katiba de Mokhtar Belmokhtar "n'a fixé aucun ultimatum à l'Espagne, et exige une rançon et la libération de plusieurs prisonniers islamistes détenus par la Mauritanie", précise El Pais.

Cette dernière demande se heurte au refus de Nouakchott, pour le moment, ajoute ABC. Selon ce quotidien, la décision de la justice mauritanienne de condamner à 12 ans de prison le "mercenaire" qui avaient enlevé les trois Espagnols, une peine considérée comme légèrepar la presse espagnole, pourrait "faciliter les négociations pour libérer les deux otages".

Tensions franco-espagnoles

Autre aspect du problème: avant le raid de jeudi, rappelle El Pais, Madrid avait été "informée" des intentions françaises mais "pas consultée". Ce qui avait rallumé les tensions franco-espagnoles, déjà créées par le cas Pierre Camatte, fin février: "avant qu'un accord se dessine grâce à l'intervention d'intermédiaires, Paris prévoyait une opération militaire dont l'Espagne avait entendu parler par hasard."

Cette fois, l'Espagne prend les devants, alors que Nicolas Sarkozy a officiellement annoncé des représailles à l'égard d'AQMI ce lundi. "Si ce châtiment intervient avant que Vilalta et Pascual soient libérés, écrit El Pais, le gouvernement espagnol compte être averti en amont et obtenir la garantie que la zone où se trouverait Belmokhtar soit évitée". Afin de ne pas voir ses discrets efforts réduits à néant.

lexpress.fr