lundi 20 décembre 2010

Le calvaire des "migrerrants du Sahel" raconté par la Cimade


Une embarcation d'immigrés clandestins interceptée par des gardes-côtes au port de Los Cristianos sur l'île espagnole de Tenerife, le 4 avril 2006

PARIS — "Ils nous ont lancés vers la frontière dans une zone minée et certains sont morts dans le désert". Cet Ivoirien, refoulé du Maroc alors qu'il se rendait en Espagne, est un de ces "migrerrants" du Sahel produits par la nouvelle politique migratoire de l'UE, présentés par la Cimade.
L'ONG de défense des immigrés a publié jeudi des témoignages de ces "prisonniers du désert", dans une enquête inédite sur "les conséquences des politiques migratoires européennes à la frontière Mali-Mauritanie".
"Je suis parti en pirogue de Nouadhibou (nord de la Mauritanie) en janvier 2009. Après trois jours de navigation, notre pirogue est tombée en panne de moteur et nous avons dérivé vers les côtes marocaines. Nous n'avions plus d'eau ni de nourriture. Il y en a qui sont morts et nous les avons balancés en mer", raconte cet Ivoirien.
"Les Marocains nous ont interceptés et violentés. Ils nous ont donné à manger pendant quatre jours puis nous ont lancés vers la frontière mauritanienne dans une zone minée. Certains sont morts dans le désert. J'avais la jambe enflée. Nous avons marché jusqu'à Nouadhibou où j'ai été hospitalisé".
Cette ville portuaire mauritanienne était devenue fin 2005 une porte d'accès vers l'Europe après les événements de Ceuta et Melilla, quand des centaines de migrants avaient tenté d'entrer en force dans les deux enclaves espagnoles au Maroc. En 2006, avec l'aide de l'Espagne, un centre de détention y ouvrait, vite appelé "Guantanamito" par la population locale et les migrants.
"Lorsque j'ai été arrêté par les policiers mauritaniens à Nouadhibou, on m'a menotté comme un criminel (...) Dans le centre, on ne peut sortir que pour aller pisser, accompagné d'un policier. Là-bas, ils frappent à mort", raconte un Malien interrogé à Gogui, village frontalier coupé en deux par la frontière, où l'Espagne a financé la construction d'un poste de police.
L'existence et le fonctionnement du centre de détention de Nouadhibou "ne reposent sur aucune base légale ou administrative", selon la Cimade. Le sort de ses pensionnaires ne fait pas de doute.
"Si on t'arrête et qu'on te met dans le centre c'est qu'on va te refouler, ne te fatigue même pas", se résigne au autre Malien. "On était 84 dans le centre de détention, on nous a tous refoulés confirme un malchanceux. "Tu ne pars pas tant que le chargement n'est pas complet, on peut parler de chargement comme du bétail", renchérit un autre.
A Nouadhibou, on n'arrête pas que les migrants refoulés d'Espagne. Tout étranger peut être arrêté parce que suspecté de "tentative d'un voyage clandestin vers l'Europe", un motif qui n'est pas prévu par la loi mauritanienne. Pourtant, des centaines de personnes sont arrêtées, détenues et refoulées depuis 2006, selon la Cimade.
"On nous réveille la nuit pour nous mettre dans le centre de rétention. J'ai été arrêté en janvier 2010 à 22 heures. Ils m'ont arrêté, mais pas seul. Ils ont arrêté tout le monde".
"On t'arrête sans preuve, on te prend pour un clandestin. L'essentiel c'est que le centre soit plein. Ils comptent par tête".
Survivants de dangereuses traversées, refoulés, abandonnés et agressés, les migrants ne renoncent pas toujours. "Je suis fatigué, depuis 2002 que j'essaie de partir. Mon argent, j'en ai trop perdu", pleure un malheureux.
En Algérie, les migrants sont détenus dans des conditions insupportables, entassés dans des cellules de quelques mètres carrés, sous-alimentés (un morceau de pain et un litre de lait pour 5 personnes par jour) puis transférés dans des camions-prisons qui les déversent dans un no man's land.