dimanche 9 janvier 2011

Qui se cache derrière Al-Qaida au Maghreb islamique ?

L'enlèvement au Niger de sept expatriés étrangers, dont cinq Français, a été revendiqué par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans un message audio diffusé mardi 21 septembre par la télévision Al-Jazira, du Qatar. Que sait-on aujourd'hui de l'organisation ? Ses origines ? Sa structure ? Ses ambitions ? Eclairage.

Qu'est-ce qu'AQMI ?
AQMI est née de l'intégration, en janvier 2007, du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dans Al-Qaida, le réseau d'Oussama Ben Laden. Organisation djihadiste algérienne, le GSPC était apparu en 1998, à l'époque des massacres de masse perpétrés par le Groupe islamique armé (GIA). Après avoir fait allégeance à la mouvance Al-Qaida, le groupe a étendu sa zone d'action à l'ensemble du Sahel, de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Mali, le Niger et le Nigeria.

"Lors de la création d'AQMI, l'objectif qui lui était assigné par Ben Laden, c'était l'Europe", mais faute d'atteindre le Vieux Continent, le mouvement s'est concentré et rabattu sur le Sahara, rappelle Jean-Pierre Filiu, professeur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. C'est "une région dans laquelle elle était déjà présente et où elle a intensifié ses actions en ouvrant de nouveaux fronts, notamment au Niger, en 2009", note l'auteur des Neuf vies d'Al-Qaida.
Par qui AQMI est-elle dirigée ?
AQMI est dirigée depuis 2004 par Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud. Agé d'une quarantaine d'années, l'homme a vu le jour à Meftah, dans la banlieue sud d'Alger. Chimiste de formation, il a rejoint le GIA en 1994. D'après Jeune Afrique, qui lui a consacré un long portrait, son ascension au sein de l'organisation islamiste a été fulgurante. Chef de cellule, puis émir de phalange, il entre en contact avec Al-Qaida dès 2005 par l'intermédiaire du Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, chef de file de l'organisation en Irak.
Adoubé par "La Base", Droukdel installe des camps d'entraînement en Kabylie pour former des candidats djihadistes venus du Maroc, de Libye, de Tunisie, de Mauritanie et d'ailleurs. Dans une interview accordée au New York Times le 1er juillet 2008, il affirme que ses troupes sont essentiellement constituées de militants algériens. Ils seraient deux cents à trois cents rassemblés autour de lui dans les maquis en Kabylie.
Comment AQMI est-elle organisée ?
Dans le Sahel et le Sahara, AQMI est divisée en plusieurs phalanges très mobiles. Ces katibas – l'appellation est empruntée aux unités combattantes de l'Armée de libération nationale (ALN) pendant la guerre d'indépendance algérienne – comptent chacune plusieurs dizaines de militants. Elles sont organisées autour d'un chef, l'émir, désigné par Abdel Malek Droukdel. Les deux principales sont :
- La katiba de l'Ouest, qui frappe surtout en Mauritanie. Son chef, l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, alias Khaled Abou El Abbas, est également surnommé "Mister Marlboro" du fait de son implication dans la contrebande de cigarettes. Entre autres crimes, il a participé à l'enlèvement de deux diplomates canadiens travaillant pour l'ONU en décembre 2008, et au rapt de trois Espagnols en novembre 2009. La libération de ces derniers en août de l'année suivante aurait coûté 8 millions d'euros à Madrid.
- La katiba de l'Est, qui nomadise du sud de la Tunisie au nord du Niger, et de l'est de la Mauritanie au Tchad. A sa tête : Abid Hammadou, alias Abdel Hamid Abou Zeïd. Plus âgé que Droukdel et que Belmokhtar, Abou Zeïd est responsable de l'assassinat du Britannique Edwyn Dyer et de la mort de l'otage français Michel Germaneau. Dans un témoignage recueilli par le magazine Jeune Afrique, l'ancien otage français Pierre Camatte le décrit comme "petit" et "rachitique". "Il fait preuve d'une très grande audace en termes opérationnels. C'est sa plus grande force, avec également le fait qu'il est relativement nouveau au sein du réseau", relève Jean-Pierre Filiu.

Trafics et enlèvements : les "business" d'AQMI
AQMI évolue dans une zone livrée aux trafics en tout genre : cigarettes, drogues, armes... Les islamistes participent à la contrebande, qui constitue, avec les enlèvements d'étrangers et le "business des otages", une source de revenus importante pour l'organisation.
Les chefs touaregs jouent un rôle dans cette économie de la terreur, en revendant parfois des otages aux islamistes du Sahara. "Culturellement parlant, les Touaregs n'ont rien d'islamiste. Mais leur mission traditionnelle consiste à assurer des missions de transport et de contrebande à travers le désert, et ils peuvent donner un coup de main aux djihadistes, contre leur soutien et leur protection", explique un expert interrogé par Le Monde.
Pourquoi la France est-elle visée ?
En raison du soutien de l'ancienne puissance coloniale au régime du président algérien Abdelaziz Bouteflika, de l'engagement de Paris en Afghanistan et de l'interdiction du port du voile à l'école et du niqab dans les lieux publics, la France est particulièrement visée par les islamistes d'AQMI.
La pression sur Paris et ses intérêts dans les pays du Sahara et du Sahel s'est passablement intensifiée depuis l'opération franco-mauritanienne conduite le 22 juillet contre un camp d'AQMI dans le nord du Mali, comme en témoigne une note de la direction générale de la surveillance extérieure (DGSE) à laquelle Le Monde a eu accès.
D'après les experts français, les islamistes d'AQMI ne disposeraient pas de relais logistiques en France pour monter une action sur le territoire national. Toutefois, l'organisation pourrait frapper "soit par l'entremise d'individus déjà présents sur notre sol, soit par l'envoi d'un groupe spécifiquement dédié à cette entreprise s'appuyant sur un support logistique local". Les inquiétudes françaises ont été récemment renforcées par des informations de la CIA signalant le voyage de militants islamistes du Maghreb vers l'Italie.

Le Monde.fr