samedi 6 juin 2009

En Mauritanie, deux militaires, proches parents, s'affrontent pour la présidence

LE MONDE | 06.06.09

Nouakchott Envoyé spécial

près le faux départ d'une élection que tout indiquait réglée d'avance au profit d'un candidat putschiste, la course à la présidence a commencé vendredi 5 juin par un coup de théâtre.

La veille, la communauté internationale était parvenue après d'âpres négociations à convaincre le pouvoir et l'opposition (celle-ci, réunie au sein du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), prévoyait de boycotter le scrutin prévu trente-six heures plus tard), de reporter le vote au 18 juillet afin que tout le monde y participe. Vendredi, nouvelle surprise de taille, par une déclaration à la télévision, un acteur de poids sortait à son tour de sa retraite.

La situation est claire. L'affrontement de deux cousins germains va dominer cette présidentielle au détriment d'autres compétiteurs, dont l'opposant historique Ahmed Ould Daddah. L'un est le général Mohammed Ould Abdelaziz, 52 ans. Il fait figure de favori. Il est l'homme fort du pays, auteur du dernier coup d'Etat en date, le 6 août 2008, dans ce petit pays de 3 millions d'habitants qui ne connut pratiquement que cette pratique en matière d'alternance de pouvoir.

Son adversaire est un autre militaire, son aîné de six ans, le colonel Ely Ould Mohammed Vall, fort de ses réseaux tissés par vingt années passées à la tête de la Sûreté nationale.

Les deux cousins issus du même ensemble tribal des Ouled Bou Sba ont été mêlés, pour les empêcher ou les faire aboutir, à la plupart des coups de force de ces vingt dernières années. Plus récemment, ils ont à leur crédit d'avoir opportunément sorti de leur chapeau Sidi OuldCheikh Abdallahi, en 2007, le premier président démocratiquement élu de Mauritanie sous les applaudissements de la communauté internationale. Puis, la présidence controversée de "Sidi" a séparé la route des deux hommes. Le 6 août 2008, "Aziz" déposait le président.

Ely Vall n'avait guère pleuré le limogeage du président Abdallahi, accusé d'avoir dilapidé en quelques mois un immense mouvement d'espoir. Mais le colonel n'avait pas apprécié le coup de force, lui qui s'était forgé l'image du père d'une transition démocratique réussie peu fréquente en Afrique.

Depuis, Ely Vall cultivait le mystère qui sied à un professionnel des services secrets. Il se tenait à l'écart des médias, mais recevait des personnages influents. Sur la terrasse de la dernière de ses luxueuses villas, dans l'îlot Sé, de Nouakchott, la capitale, distant d'un jet de pierre de la présidence, ce membre de la Fondation Chirac distillait ses analyses aux diplomates étrangers.

"Pour l'élection, les deux candidats chasseront en partie sur les mêmes terres", reconnaît-on dans l'entourage du général Aziz. L'un et l'autre chercheront à se prévaloir du soutien de l'armée, un acteur incontournable dans la quête du pouvoir. Et aussi celui des cheikhs et hommes d'affaires, indispensables financiers et apporteurs de voix.

"Ely Vall n'a jamais fait de politique", rétorque Mohammed Ali Sherif, le chef de la majorité parlementaire du général Aziz. Ce sera un vrai concurrent, explique-t-il, "s'il se bat comme nous contre les maux qui ont entaché les pouvoirs précédents". Référence ironique voilée aux interrogations qui courent les rues de Nouakchott, la capitale, sur l'origine de l'immense fortune attribuée à Ely Vall.

Le candidat Aziz a, lui, axé sa campagne sur la lutte contre "la gabegie". Il compte aussi s'appuyer sur le bilan du "mouvement de rectification" qu'il a initié depuis sa prise de pouvoir. Au milieu de Hay Saken, un immense bidonville où s'entassent près de 30 000 personnes, Sidi Ben Kattra, qui broie son dos à de menus travaux payés moins de 3 euros la journée, loue ainsi celui qui s'est autoproclamé le "président des pauvres""Grâce à "Aziz", des routes ont été construites, les prix alimentaires ont baissé. Que Dieu lui permette d'être élu pour continuer son oeuvre", expliquait ce Négro mauritanien au seuil de sa baraque de tôles et de toiles plantée au milieu de dunes.

Christophe Châtelot