lundi 10 août 2009

L'attentat-suicide qui visait des Français illustre la montée du terrorisme en Mauritanie

Des policiers mauritaniens bloquent l'accès à l'ambassade de France à Nouakchott, le 8 août 2009.
AFP/Watt Abdel Jelil
Des policiers mauritaniens bloquent l'accès à l'ambassade de France à Nouakchott, le 8 août 2009.

C'est clairement la France qui a été visée samedi 8 août par le premier attentat-suicide jamais commis à Nouakchott, la capitale mauritanienne.

Un jeune kamikaze s'est fait exploser aux abords immédiats de l'ambassade de France à Nouakchott, faisant trois blessés légers : une Mauritanienne et deux Français, les gendarmes qui gardaient l'ambassade. Même si l'attentat n'a pas été revendiqué, tout porte à croire qu'il s'agit d'un nouvel acte d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il y a un mois et demi, AQMI avait déjà revendiqué l'assassinat d'un Américain à Nouakchott. Al-Qaida au Maghreb islamique, c'est d'abord un label : celui du mouvement d'Oussama BenLaden. En revêtant officiellement les habits d'Al-Qaida, en janvier 2007, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), le dernier groupe terroriste algérien encore structuré, a atteint son objectif : obtenir une existence médiatique planétaire. "Le principal attrait d'AQMI pour les jeunes, c'est sa notoriété", souligne H'Mida Layachi, directeur du quotidien algérien Djazaïr News, spécialiste de l'islamisme. La décision du GSPC de basculer dans l'orbite d'Al-Qaida a été prise dès 2005. Soumis à une forte pression depuis que les Etats-Unis et l'Algérie ont institutionnalisé leur coopération sécuritaire en 2004, le GSPC est alors de plus en plus isolé en Algérie. Et, surtout, les différentes amnisties du pouvoir algérien ont dégarni les maquis. Le groupe manque de combattants. Plusieurs de ses dirigeants ont dû fuir dans les pays du Sahel, comme le Niger, le nord du Mali et la Mauritanie. En 2005, le GSPC est alors divisé en deux clans : l'un veut poursuivre le combat mais en le limitant au territoire algérien. L'autre exige un champ d'action plus large, et réclame la multiplication d'actions dans les pays voisins. C'est cette seconde tendance, conduite parAbdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab, qui va finir par l'emporter. Les guerres américaines en Afghanistan et en Irak vont remettre en selle le terrorisme algérien et surtout lui redonner des objectifs. Sans l'Irak, les conditions d'une internationalisation du djihad(guerre sainte) n'auraient sans doute pas été réunies.

Al-Qaida est alors lui aussi en position de faiblesse. Il se cherche une nouvelle stratégie. "Il comprend qu'il va lui falloir désormais passer par l'Irak pour instaurer l'Etat islamique dans le monde arabe. Il voit dans le Maghreb "un vivier" susceptible d'alimenter ses troupes", expliqueMohammed Darif, un universitaire marocain.

Lorsque deux diplomates algériens sont kidnappés en Irak, en juillet 2005, le GSPC saisit l'occasion : au lieu de condamner l'opération, il fait allégeance au chef d'Al-Qaida en Irak, Abou Moussab Al-Zarqaoui (qui sera tué un an plus tard, lors d'un bombardement américain au nord de Bagdad) et approuve l'exécution des diplomates algériens. C'est un tournant.

Internet va jouer un rôle important dans l'essor de l'ex-GSPC. Le mouvement a désormais à sa disposition le réseau des sites Web islamistes radicaux pour diffuser ses communiqués et ses vidéos.

Sa visibilité, AQMI l'acquiert aussi grâce à la presse internationale - le New York Times fera sa "une" avec Abdelmalek Droukdel, le 1er juillet 2008 - en particulier télévisuelle. Al-Jazira ne tarde pas à être accusée par les régimes arabes d'être "un outil de propagande" d'AQMI. La chaîne de télévision aide en tout cas l'ex-GSPC à briser la stratégie d'encerclement du pouvoir algérien et à contraindre celui-ci à mener avec lui une guerre médiatique.

Sur le terrain, les combattants d'AQMI sont pour la plupart des membres algériens de l'ex-GSPC, épaulés par des Libyens, des Marocains, des Tunisiens, et des Mauritaniens. Tous voulaient s'enrôler pour le "martyr" en Irak mais ils se laissent convaincre par l'AQMI de combattre les pouvoirs en place, "vassaux" des Etats-Unis. Les voilà kamikazes potentiels, prêts à se faire exploser en plein coeur d'Alger ou ailleurs.

Carte de situation de la Mauritanie

Combien sont-ils ? Quelques centaines dans les camps d'entraînement en Algérie, disent les spécialistes. Et des petites cellules mobiles et nomades - ce qui fait leur force - réparties ici et là dans tout le Maghreb et au Sahel.

"AQMI va faire la preuve de sa crédibilité pendant toute l'année 2007. Mais le mois d'avril sera véritablement son "baptême"", souligne Mathieu Guidère, professeur de veille stratégique à l'université de Genève, et auteur de plusieurs ouvrages sur le terrorisme, (notamment Al-Qaida à la conquête du Maghreb, éd. Le Rocher). Entre le 10 et le 14 avril, Casablanca et Alger vont être secouées par une dizaine d'attentats-suicides concomitants (7 morts d'un côté, 24 de l'autre). Ces méthodes "à l'irakienne" confirment la rupture avec le terrorisme purement algérien qui prévalait jusque-là.

Quatre mois plus tôt, la banlieue de Tunis avait été la cible d'une bataille rangée entre forces de sécurité et membres d'AQMI. Et, pour clore l'année 2007, AQMI mène en décembre des attentats-suicides contre le siège des Nations unies à Alger et celui d'Interpol. Parallèlement, quatre touristes français sont assassinés en Mauritanie, le 24 décembre, lors d'une opération revendiquée par AQMI.

En 2008, AQMI va confirmer sa stratégie d'expansion : prise d'otages de ressortissants autrichiens dans le sud tunisien, de Canadiens, Allemands et Suisses, au nord du Niger, etc. Entre-temps, il a multiplié les opérations de harcèlement, notamment en Mauritanie et au Niger."Le but d'AQMI, c'est de récupérer de l'argent. Il considère ses otages comme des prisonniers de guerre, et oblige les Occidentaux à négocier avec lui", insiste Mathieu Guidère.

Jusque-là, le financement d'AQMI était essentiellement local, presque artisanal : le racket, une vieille institution en Kabylie. Ensuite les braquages et les kidnappings de citoyens algériens, libérés contre rançon. Enfin, plus au sud, dans le Sahel - là où les frontières sont poreuses -, des trafics en tous genres : armes, voitures, cigarettes... AQMI tire aussi ses revenus du blanchiment d'argent, notamment dans le foncier et l'immobilier en Algérie.

L'ambition du mouvement est claire : devenir la principale force d'opposition armée au Maghreb, à l'intérieur de l'Algérie face au régime et à l'extérieur de l'Algérie face aux puissances occidentales. Droukdel l'a dit explicitement dans son interview au New York Times, en juillet 2008.

"Le climat de tension et de chaos qu'il entretient est favorable à la propagation du djihad. AQMI ne vise pas en priorité les Occidentaux mais les régimes arabes", analyse H'Mida Layachi. Pour lui, l'objectif immédiat de Droukdel est de les faire tomber et de les remplacer par un pouvoir islamique, "l'Occident et les juifs n'étant, dit-il, qu'une deuxième étape dans la stratégie d'Al-Qaida".

Florence Beaugé
Le Monde.fr, lundi 10 août 2009