mardi 11 août 2009

Nouakchott craint une radicalisation des djihadistes mauritaniens


AFP - LUNDI 10 AOÛT 2009 - En déclenchant sa ceinture explosive à proximité de l'ambassade de France à Nouakchott, un jeune kamikaze mauritanien a marqué samedi une nouvelle étape dans la radicalisation des milieux jihadistes de ce pays, soulignent des experts. 

Car si des réseaux extrémistes sunnites, liés aux Algériens d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), sont présents et actifs en Mauritanie depuis des années, et ont déjà tué des touristes français et un ressortissant américain, c'est la première fois qu'ils ont recours à l'attentat suicide.

"C'est une gradation dans la violence. Un changement dans la façon dont les choses se passent dans ce pays", estime Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE. 

"C'est une chose de convaincre quelqu'un de tirer sur des étrangers (...) C'en est une autre de convaincre un gars d'aller se faire sauter. Cela résulte d'une prise en main sur une longue période, et d'un lavage de cerveau", dit-il. 

"Le fait que la culture de l'action suicide se répande ainsi est un signe que l'ensemble de la mouvance islamiste sunnite intégriste fait école, même dans des endroits où ce n'est pas dans la culture locale", ajoute-t-il. 

Il rappelle qu'en Irak, en Somalie ou en Afghanistan, l'attentat suicide contre les forces occidentales ne faisait pas au départ partie de l'arsenal des combattants radicaux mais qu'ils y ont eu recours ensuite, en se radicalisant. 

"A la base, l'attentat suicide n'est pas dans la culture de l'islam sunnite", précise Alain Chouet. "Mais il en fait désormais partie, parce que cela fait vingt ans qu'on lave les cerveaux. On a maintenant des générations qui ont été élevées dans ce truc-là". 

Pour le journaliste mauritanien Isselmou Ould Moustapha, spécialiste du terrorisme à l'hebdomadaire Tahalil Hebdo, des volontaires kamikazes sont présents et prêts à l'action depuis des mois en Mauritanie. 

"Une attaque suicide avait été programmée en avril 2008 contre l'ambassade d'Israël à Nouakchott, mais les auteurs n'étaient pas passés à l'acte car l'attaque aurait fait trop de morts mauritaniens", assure-t-il. "Les salafistes avaient refusé les ordres de l'AQMI car ils n'étaient pas prêts à tuer des musulmans. Mais ce n'était que partie remise". 

Selon lui, des Mauritaniens affiliés à AQMI sont rentrés en juin dans leur pays, en provenance de la zone saharo-sahélienne où ils étaient soumis à une forte pression des armées malienne, algérienne et mauritanienne, aidées de milices locales.

"Soit le kamikaze s'est introduit dans le pays avec sa ceinture explosive, et c'est un problème de sécurité car il a pu passer tous les barrages", ajoute Isselmou Ould Moustapha.

"Soit il reste à Nouakchott un artificier qui fabrique les ceintures et un mufti qui peut faire le lavage de cerveau, et c'est encore plus inquiétant car cela veut dire qu'il y en aura d'autres". 

Selon le français Jean-Pierre Filiu, professeur associé à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris et auteur notamment des "Frontières du jihad", cette attaque marque "une fuite en avant, une radicalisation des techniques afin de viser une fois de plus l'impact médiatique. Ils sont en mal de publicité, et cela leur pose problème". 

"Pour l'AQMI et pour Al-Qaïda en général, le problème de la crédibilité terroriste est en train de devenir crucial".