lundi 20 juillet 2009

En Mauritanie, le putschiste de 2008 gagne l'élection

Le 19 juillet, à Nouakchott, des supporteurs du général Ould Abdel Aziz fêtent son élection à la présidence de la République islamique, selon les premiers résultats officiels.
AP/Rebecca Blackwell
Le 19 juillet, à Nouakchott, des supporteurs du général Ould Abdel Aziz fêtent son élection à la présidence de la République islamique, selon les premiers résultats officiels.

imanche 19 juillet, ce sont des concerts de klaxons et des manifestations d'allégresse qui ont accueilli dans les rues sablonneuses de la capitale mauritanienne, Nouakchott, l'annonce officielle de la victoire, dès le premier tour, de l'ex-général putschiste, Mohamed Ould Abdel Aziz, à l'élection présidentielle. Le front "anti-Aziz", qui, à longueur de manifestations, demandait depuis le coup d'Etat d'août 2008 le retour à l'ordre démocratique, était absent et silencieux. "Il est sonné, personne ne s'attendait à une victoire aussi nette et rapide", nous explique Mohamed Fall Ould Oumere, rédacteur en chef de l'hebdomadaire indépendant La Tribune, joint au téléphone. Dimanche matin, les quatre principaux candidats battus avaient, certes, dénoncé "un coup d'Etat électoral" et un scrutin apparenté à "une mascarade". Mais, vingt-quatre heures plus tard, aucune plainte pour fraude n'avait encore été déposée. Pas plus que l'on n'enregistrait de manifestations de colère de la part des électeurs d'une opposition qui se disait pourtant massivement flouée.

Ce calme précède-t-il la tempête ou bien faut-il y voir le signe du fatalisme des Mauritaniens, dont la vie n'est rythmée depuis leur indépendance, en 1960, que par des coups d'Etat militaires ou électoraux ? A moins que l'ex-général Abdel Aziz ait tout simplement gagné à la régulière, comme semblaient le confirmer les observateurs de l'Union africaine, notamment, déployés dans les bureaux de vote et qui ne trouvaient rien à redire au déroulement du scrutin.

Si rien ne vient remettre en cause les résultats, l'opposition a en effet de quoi faire grise mine. Selon les chiffres officiels annoncés dimanche soir par le ministère de l'intérieur, Mohammed Ould Abdel Aziz recueille en effet 52,58 % des voix, loin devant le président de l'Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir. Ce descendant d'une famille d'esclaves n'obtient que 16,29 % des voix, suivi (avec 13,66 %) parAhmed Ould Daddah, le chef du principal parti de l'opposition, le Rassemblement des forces démocratique (RFD).

Un temps présenté comme le rival le plus sérieux de Mohammed Ould Abdel Aziz, son cousin germain et ancien chef d'une autre junte militaire (de 2005 à 2007), Ely OuldMohammed Vall obtient un maigre 3,81 %.

Est-ce parce qu'il pressentait cette déroute qu'Ely Ould Mohammed Vall n'a pas attendu plus que quelques heures après le début des opérations de vote, samedi 18 juillet, pour dénoncer de "vastes opérations de fraude, aussi bien à l'intérieur du pays qu'à Nouakchott""Nous sommes en train d'en prendre connaissance et nous en ferons part, si cela se confirme, aux instances concernées et aux observateurs", a-t-il déclaré à la presse.

"Il y a eu achat de conscience, de cartes d'électeurs et d'autres documents de vote. Des villages entiers ont été ciblés par la pression de l'argent pour les amener à voter pour tel ou tel candidat. Cela est très grave", a-t-il ajouté, après avoir voté à Nouakchott. En 2007, l'opposition d'alors avait formulé les mêmes critiques à l'encontre, cette fois-là, du colonel Vall lors de la victoire de "son" candidat, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi.

"Machine à truquer"

Dimanche, le colonel Vall s'est donc retrouvé aux côtés de ses anciens détracteurs pour dénoncer"un coup d'Etat électoral", selon les termes de Massaoud Ould Boulkheir. "L'opposition est présente dans la commission électorale centrale et au ministère de l'intérieur, ce sera très difficile pour elle de contester les résultats", pronostiquait Mohammed Fall Ould Oumere. Auquel cas l'opposition éprouvera quelques difficultés à garnir ses bataillons de protestataires. Mais, de cela, les anti-Aziz, un front hétéroclite uni par son rejet du général, ne semble pas vouloir entendre parler. "Tout était déjà en place pour le 6 juin, lorsqu'Abdel Aziz voulait afficher un taux de participation présentable. Samedi, il n'a eu qu'à activer sa machine à truquer le vote", dénonce, à Paris, un proche du colonel Vall. Le 6 juin fait référence à la date que le général putschiste avait obstinément tenté d'imposer pour la présidentielle.

Seule une forte pression de la communauté internationale, inquiète du manque de légitimité que ne manquerait pas d'avoir une élection boycottée par la plupart des partisans, l'avait fait revenir sur sa décision. Le vote avait finalement été reporté de quelques semaines seulement jusqu'au 19 juillet. Et l'opposition s'était engagée à y participer. Sans doute regrette-t-elle aujourd'hui d'avoir accepté un agenda qui convenait parfaitement à Mohammed Ould Abdel Aziz.

L'ancien chef de la garde présidentielle s'est en effet appuyé sur son bilan à la tête du Haut Conseil d'Etat (HCE), la junte militaire instituée après le putsch d'août 2008. L'ancien général, démissionnaire de l'armée au printemps pour pouvoir se porter candidat à la présidentielle, a dépensé sans compter pour construire des routes, baisser les prix des produits de première nécessité, faire réaliser des travaux d'électrification, de raccordement aux réseaux de distribution d'eau potable. Autant d'investissements publics qui servaient également son image de président proche des nécessiteux. On dit aujourd'hui que les caisses de l'Etat sonneraient creux. D'autant que les institutions financières internationales, l'Union européenne et nombre de pays attendaient ce scrutin avant de relancer leur aide et autres programmes de financement suspendus après le putsch de 2008.

Christophe Châtelot