mardi 14 juillet 2009

Malouma, diva rebelle

La chanteuse mauritanienne Malouma combine la musique traditionnelle avec d'autres influences comme le jazz et le blues.
© Ho New / Reuters
La chanteuse mauritanienne Malouma combine la musique traditionnelle avec d'autres influences comme le jazz et le blues.

Il ne faut pas se fier à son accueil chaleureux dans sa grande maison à l'entrée de Nouakchott, entre océan et désert. Ni à son visage lisse comme un galet, fendu d'un éclatant sourire. Pas plus qu'à sa voix lancinante. Malouma Mint Meidah est une tigresse capable de tous les coups de griffes pour défendre ses bonnes causes. Malouma, de son nom d'artiste, est une diva du désert, une griotte rebelle devenue reine de la musique mauritanienne, une sénatrice aussi, élue sous la bannière démocratique dans un pays dont l'histoire politique s'écrit au rythme des coups d'Etat.

1960 Naissance à Mederdra,

région du Trarza, au sud de Nouakchott (Mauritanie).

1988 Se révèle au monde de la musique au Festival de Carthage (Tunisie).

1998 Premier album : "Desert of Eden" (1998, Shanachie), suivi de "Dunya" (2004, Marabi-Harmonia Mundi)

et de "Nour" (2007, Marabi-Harmonia

Mundi).

2007 Est élue sénatrice lors des

premières élections générales et libres.

2008 Coup d'Etat du général Aziz.

2009 Election présidentielle.

Ses derniers démêlés illustrent cet engagement et les déboires qui la poursuivent depuis le début de sa carrière, entre censure et opprobre social pour une femme décidée à abattre les barrières d'une tradition parfois pesante. "Je revenais de Dakar au mois de mai, raconte-t-elle, quand les douaniers ont pris d'assaut le bac traversant le fleuve Sénégal, fouillé ma voiture et confisqué tous mes CD et les cassettes que je venais de faire dupliquer. Le chef de la douane m'a dit en s'excusant : "L'ordre vient d'en haut.""

Malouma décrypte cette phrase sibylline. ""En haut" du pouvoir il y a "Aziz"", explique-t-elle. Aziz, autrement dit le général Mohamed OuldAbdel Aziz, l'auteur du coup d'Etat d'août 2008 qui déposa Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le premier président démocratiquement élu de la Mauritanie indépendante, et très vite devenu contesté.

Pas sûr que le général se soit chargé en personne du cas Malouma. Mais il compte assez de zélateurs qui, croyant lire dans ses pensées, ont pu prendre l'initiative de bloquer les cartons de CD où figuraient deux chansons qui auraient écorché les oreilles du général putschiste. L'une d'elles s'intitule Les Gens de principe, l'autreUnilatéral. La première dénonce cette propension récurrente des militaires à confisquer le pouvoir aux civils depuis l'indépendance mauritanienne, en 1960, tout en jurant, la main sur le képi, qu'ils ne font que passer. La seconde s'élève contre la volonté"unilatérale" du général Aziz d'organiser coûte que coûte un scrutin présidentiel le 6 juin malgré le boycottage de la plupart des partis politiques.

Depuis, et grâce à la médiation du voisin sénégalais, le "six-six", comme on appelait l'élection de juin à Nouakchott, a été reporté au 18 juillet. Et le putschiste, autoproclamé"candidat des pauvres", figure parmi les favoris pour cette élection devenue pluraliste.

Les cartons de CD, eux, moisissent toujours dans une cahute des douanes sur les rives du fleuve Sénégal. "C'est de la censure, se lamente Malouma, ce n'est pas la première fois, mais je refuse de m'y habituer." La censure l'accompagne en effet depuis le début d'une carrière précoce.

La chanteuse est née à Mederdra en 1960. L'année où la Mauritanie coupait le cordon avec la France colonisatrice. La capitale, Nouakchott, n'est alors qu'un paysage de dunes, peuplé de chacals. Le nomadisme subsiste comme mode de vie sur ce vaste désert grand comme deux fois la France. Dans cette Mauritanie dite "au million de poètes", Malouma voit le jour "dans la caste des artistes, les griots". Son père, Moktar Ould Meidah - poète et sommité de l'art musical traditionnel ouvert à toutes les sonorités, y compris Vivaldi -, initie sa fille au jeu de l'ardin, harpe maure typiquement féminine. "Mais très tôt j'ai voulu sortir de ma caste, voir le monde et exprimer mes critiques", raconte-t-elle.

Jeune adolescente, elle provoque un scandale édifiant : elle jette une pierre à un émir de passage dans son village. Le tort du dignitaire aux yeux de la jeune rebelle ? Avoir laissé son père, malade, exposé à un soleil de plomb. L'émir, lui, écoutait, à l'abri d'une tente, le griot chanter ses louanges, ceux d'autres princes guerriers et du Prophète. "Un jour, tu chanteras pour moi !", lance alors, menaçant, l'émir outragé, s'amuse la chanteuse dans un documentaire qui lui est consacré (Malouma, diva des sables, production Mosaïque Films). Elle n'en fera rien"J'ai toujours pensé qu'un artiste doit véhiculer un autre message, libre, sans maître." Mais pas sans racines.

Drapée dans sa melhafa blanche, qui enveloppe son corps d'un seul et long pan de tissu et glisse sur ses cheveux décolorés au henné, Malouma revendique ses origines. Mieux, elle craint d'être la représentante d'une caste de griots savants en voie d'extinction. Car, avant de briser le carcan musical traditionnel, encore faut-il en connaître toutes les subtilités. Pour mieux, ensuite, les fusionner dans le jazz, l'électro et le blues surtout.

Elle rompt aussi avec les paroles laudatives des griots. Derrière la poésie chantée d'une voix lancinante et dépouillée, ses idées brisent des tabous. Non au mariage forcé de Mauritaniennes à peine sorties de l'enfance. Non au racisme contre les Négro-Africains ; à la marginalisation des castes des plus démunies, notamment les anciens esclaves Haratines. Oui à la mixité des communautés dans ce pays charnière entre le monde arabe et l'Afrique noire, "traversé en profondeur par des pratiques persistantes de discrimination ethnique", note le dernier rapport du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. "Je suis une Africaine d'origine arabo-berbère", dit-elle.

"On peut et on doit parler de tout. Il suffit de trouver les mots pour le dire, explique-t-elle, un artiste doit s'engager." Elle sait de quoi elle parle. En 1992, le multipartisme fait son apparition en Mauritanie, et Malouma s'engage. "Les Mauritaniennes sont parmi les femmes les plus libres de l'espace arabo-berbère. Mais si elles règnent sous la tente, elles manquent d'ambition politique", regrette-t-elle en balayant l'air de ses longs doigts aux ongles délicatement orangés.Dès le début des années 1990, elle prend fait et cause pour Ahmed Ould Daddah, l'opposant historique aux dictatures mauritaniennes, sur la liste duquel elle est élue sénatrice en 2007. "Et, dès 1992, le pouvoir m'a mise sous embargo culturel", rappelle-t-elle.

Car, si l'ambassadrice de la musique mauritanienne remplit les salles de concert de Paris à New York, celles-ci lui sont quasiment inaccessibles chez elle. Les portes des médias officiels lui ont aussi été fermées pendant quinze ans, jusqu'aux premières élections générales et démocratiques de début 2007. Bref interlude interrompu, seize mois plus tard, par le coup d'Etat du général Aziz.

"Avant, je bénéficiais d'une forme de protection. "On ne touche pas à Malouma", disaient les policiers dans les manifestations. Avec Aziz, c'est devenu : "On s'en fout de Malouma." Je reçois des menaces téléphoniques, et, pour la première fois, j'ai un peu peur." Mais elle se bat, sans fléchir. "Parce tous mes rêves ne se sont pas encore réalisés", assure-t-elle.

Christophe Châtelot