vendredi 19 mars 2010

Al-Qaida au Maghreb taxe les trafiquants de drogue

En novembre dernier, un Boeing 727, chargé de cocaïne en provenance du Venezuela, avait raté son atterrissage sur une piste de fortune dans le désert, au nord du Mali.
En novembre dernier, un Boeing 727, chargé de cocaïne en provenance du Venezuela, avait raté son atterrissage sur une piste de fortune dans le désert, au nord du Mali. Crédits photo : AFP

Les islamistes armés escorteraient des convois de transport de cocaïne pour financer le terrorisme.

La drogue est haram («illicite») pour les djihadistes, mais rien n'interdit à al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) de tirer profit des nouvelles routes africaines de la cocaïne pour diversifier ses revenus. Tel est le constat dressé depuis quelques mois par la plupart des experts occidentaux ainsi que par Antonio Maria Costa, le directeur de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). «Dans le Sahel, les terroristes puisent dans les ressources du trafic de drogue pour financer leurs opérations, acheter des équipements et payer leurs troupes», explique le patron de la lutte antidrogue des Nations unies. «En Mauritanie, plusieurs enquêtes judiciaires ont révélé l'implication de militants salafistes dans des affaires de trafic de stupéfiants», précise Isselmou Ould Moustapha, le rédacteur en chef de Tahalil, un hebdomadaire mauritanien indépendant. Il ajoute : «Les suspects ont déclaré dans leurs aveux qu'un débat sur la drogue s'est ouvert dans les campements clandestins d'al-Qaida. Il s'agissait de savoir s'il fallait s'opposer ou non au trafic dans les zones d'influence de l'organisation.» Des oulémas auraient tranché la question en proposant de prélever un impôt sur ce transit de marchandises destiné aux «impies des pays apostats».


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La dernière affaire a éclaté dans la nuit du 25 au 26 février - trois jours après la libération par l'Aqmi de l'otage français Pierre Camatte - lorsque les forces de sécurité mauritaniennes ont tendu une embuscade à un groupe armé en plein désert, à la frontière de la Mauritanie et du Mali. Lourdement armés, les convoyeurs circulaient à bord de trois véhicules tout-terrain surpuissants qui escortaient un petit camion bourré de résine de cannabis. Selon une source militaire citée par l'AFP, les accompagnateurs étaient des «islamistes». «S'il n'est pas prouvé que l'Aqmi est engagée en profondeur dans la contrebande, il ne fait aucun doute que des membres de l'organisation sont directement impliqués dans le trafic», affirme l'expert américain, David Gutelius.

Le crash du Boeing de la coke

Les djihadistes ont vu monter en flèche leurs prélèvements «douaniers» avec la transformation du Sahara en autoroute de la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud. La «poudre blanche» qui passe par le désert est transportée par avion de la Colombie vers l'Afrique de l'Ouest. Puis, elle remonte vers l'Europe via le Sahel. Les contrebandiers suivent les anciennes routes des caravanes des marchands de sel. Ils y croisent les colonnes d'al-Qaida. Des alliances conjoncturelles se nouent entre les groupes.

En novembre, un Boeing 727 a raté un atterrissage sur une piste de fortune près de Gao dans une zone où circulent trafiquants et terroristes. Pris de court, l'équipage de l'avion a brûlé sa cargaison avant de prendre la fuite. Dix tonnes de cocaïne seraient parties en fumée. L'enquête a révélé que l'appareil affrété par un cartel sud-américain avait fait escale en Guinée-Bissau, la plaque tournante des mafias, avant de remonter vers le nord en pilotage manuel sans être repéré par les radars. D'autres vols ont sans doute eu lieu avant le crash.

Quasi introuvable en Algérie, la cocaïne a fait son apparition chez une clientèle aisée depuis que ce pays est devenu une zone de transit. Le phénomène inquiète. Réunis mardi à Alger, sept pays de la région ont annoncé qu'ils allaient, en dépit de leurs tiraillements, resserrer les rangs face à la «collusion du terrorisme et du crime organisé». Reste à savoir s'ils parviendront à dépasser les déclarations de bonnes intentions.

Thierry Oberlé

Le Figaro.fr