jeudi 4 mars 2010

Après l'exil, la désillusion

Les Négro-Mauritaniens sont quelque 20 000 à avoir été rapatriés depuis 2008. Mais beaucoup ont découvert en rentrant chez eux... de nouveaux occupants.

Après vingt ans d’exil au Sénégal, Fatimata*, 44 ans, a retrouvé son pays, la Mauritanie, il y a huit mois. Mais, pour ses terres, elle devra attendre. « Elles sont cultivées par des Maures, ils nous les ont volées ! » s’énerve cette mère de sept enfants, d’ordinaire d’un naturel calme. Durant son absence, le terrain exploité par sa famille avec une coopérative à Djolly, dans la zone fertile de la vallée du fleuve Sénégal, a été attribué à d’autres. Fatimata ne désarme pas : « Il faut au moins qu’ils partagent. » Les « spoliateurs » ont emprunté et investi pour valoriser l’exploitation ? Qu’importe : elle pense avoir plus de droits que quiconque sur cette terre. C’est celle de ses ancêtres.

Fatimata fait partie des 60 000 Négro-Mauritaniens expulsés du pays en 1989. À l’époque, un différend frontalier entre Dakar et Nouakchott révèle au grand jour le racisme rampant, notamment au sein de l’État, à l’égard des Négro-Mauritaniens. Certains d’entre eux sont privés de leurs papiers et embarqués dans des avions vers le Sénégal. D’autres sont torturés ou exécutés.

Au pouvoir à l’époque, Maaouiya Ould Taya est renversé en 2005. Un retour serein des « réfugiés » devient envisageable. Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu en mars 2007, puis son tombeur, Mohamed Ould Abdelaziz, au pouvoir depuis août 2008, leur donnent des gages. Le racisme n’est plus un tabou officiel.

Un dossier explosif

Organisé par le Sénégal, la Mauritanie et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en vertu de l’« accord tripartite » signé en novembre 2007, le retour des « Gitans de la Mauritanie » a commencé au début de 2008. Et s’est achevé le 28 décembre dernier. Au total près de 20 000 personnes, 4 700 familles, ont traversé le fleuve. Après avoir reçu un « kit » du HCR – matériel de cuisine, tente, nourriture –, ils ont été installés dans l’une des cinq wilayas (préfectures) de la vallée du fleuve Sénégal. « Nous avons rempli 80 % des objectifs chiffrés, affirme Anne-Marie Deutsch lander-Roggia, représentante du HCR, qui avait recensé 24 000 candidats au retour. C’est un bon résultat. »

Mais ce n’est qu’une fois les ex- « déguerpis » rentrés que les ennuis commencent. D’après l’accord tripartite, chacun peut choisir son lieu de retour. Comme Fatimata, certains optent pour leur village d’origine et découvrent « chez eux » de nouveaux occupants. Des litiges fonciers éclatent. Ils sont nombreux. En janvier, à Fada, dans la wilaya du Trarza, des femmes rapatriées exigeant la restitution de leurs terres – attribuées à d’autres – ont décidé d’aller les cultiver de force. Certaines ont été interpellées par la police. Sans violence… pour le moment. Mais la question de la terre reste ultrasensible. « Le sujet foncier est potentiellement explosif », admet Anne-Marie Deutsch lander-Roggia.

Le dossier est épineux. Des programmes d’appui à l’aménagement et à l’exploitation agricoles sont mis en œuvre pour les rapatriés. Mais certains ne sont pas intéressés s’ils ne portent pas sur leurs propres terres et campent sur leurs positions. « Imaginez quelqu’un qui a reçu un périmètre il y a vingt ans, et qui a investi pour l’aménager, explique Ba Madine, directeur de l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés [Anair]. On ne peut pas lui dire du jour au lendemain “dégagez !” » Faut-il alors recourir à la justice ? « C’est la plus mauvaise des solutions, poursuit Ba Madine. Il ne faut pas qu’il y ait un gagnant et un perdant. » Reste l’arrangement à l’amiable : en clair, le dédommagement de l’une ou l’autre des parties. À Djolly, l’État a pris en charge les dettes d’un nouvel occupant, qui a fini par céder sa place.

Mauvaise volonté ?

L’afflux, en deux ans, de 20 000 personnes (sur une population de 3 millions) est difficile à gérer pour l’Anair – en 2009, son budget était de 2 milliards d’ouguiyas (5,5 millions d’euros). L’accord tripartite prévoit la « réinsertion » des réfugiés. Mais l’état de l’économie nationale ne permet pas de créer des emplois pour tous. En attendant, ils vivotent. Et, comme Fatimata, estiment que « l’État a trahi ses engagements ». Les fonctionnaires encore en âge de travailler s’impatientent eux aussi : ils ont été recensés et attendent d’être réintégrés. « Des instructions ont été données pour que cela soit fait dans les meilleurs délais », promet Ba Madine. Les écoles, où l’enseignement est partiellement en arabe alors que les Négro-Mauritaniens sont francophones, ne sont pas toujours adaptées. Après un bref retour, les enfants de Fatimata sont repartis au Sénégal pour y être scolarisés. Déçus, quelques rapatriés ont également rebroussé chemin.

Plus que des problèmes techniques, certains voient dans ces atermoiements le signe d’une mauvaise volonté. « Certains sont tapis dans l’ombre et ne veulent pas du retour, estime Kaaw Touré, porte-parole (exilé en Suède) des Forces de libération africaines de Mauritanie. Y compris dans les cercles du pouvoir. » Une chose est sûre : la confiance n’est pas encore rétablie.

Jeune Afrique | Marianne Meunier