mardi 12 janvier 2010

Al-Qaida au Maghreb islamique lance un ultimatum à la France

Photo non datée de l'otage français Pierre Camatte qui a été enlevé par Al-Qaida Maghreb islamique (AQMI) dans la nuit du 25 au 26 novembre 2009.

AFP/STR
Photo non datée de l'otage français Pierre Camatte qui a été enlevé par Al-Qaida Maghreb islamique (AQMI) dans la nuit du 25 au 26 novembre 2009.

Sept semaines après l'enlèvement de Pierre Camatte, 61 ans, un retraité français, dans l'est du Mali, les menaces proférées par le groupe islamiste qui affirme le détenir et ses revendications, rendues publiques dimanche 10 janvier par des sites américains de surveillance de la menace terroriste, confirment la volonté de la nébuleuse Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) de transformer la bande sahélo-saharienne en zone d'affrontement avec les Occidentaux.

S'adressant à l'opinion publique française, le groupe lui demande de "faire pression sur le gouvernement Sarkozy pour l'empêcher de commettre la même bêtise que Gordon Browncontre ses citoyens britanniques", selon le texte rapporté par le site de l'organisation non gouvernementale Search for International Terrorist Entities. La phrase fait référence à l'assassinat, en juin 2009, par le groupe qui détient Pierre Camatte, d'Edwin Dyer, un touriste britannique, suite au refus de Londres de céder à son chantage.

Cette fois, les preneurs d'otages exigent la libération "dans les vingt jours" de quatre islamistes - un Algérien, un Burkinabé et deux Mauritaniens - incarcérés au Mali ainsi que"beaucoup d'argent", selon une source citée par l'AFP.

Même si l'authenticité des messages reste difficile à vérifier, la menace est prise au sérieux tant à Paris qu'à Bamako. Officiellement, le silence radio est de mise : "Nous ne commentons pas de telles déclarations", a laconiquement indiqué, lundi, le Quai d' Orsay, en s'affirmant "pleinement mobilisé" par la situation de Pierre Camatte.

Mais une autre source française précisait : "La revendication, si elle n'a rien de surprenant, confirme les raisons d'être inquiets. Car on connaît le groupe responsable et ses méthodes."Le fait que l'otage français soit originaire de France, pays stigmatisé comme colonisateur et antimusulman par les islamistes, en fait un symbole particulier. Trois Espagnols et deux Italiens enlevés en Mauritanie en novembre et en décembre sont entre les mains d'autres groupes islamistes.

A Bamako, une personnalité proche du pouvoir analyse : "Al-Qaida tente d'entraîner le Mali et les Occidentaux dans le piège de la radicalisation. Ils cherchent à créer un nouveau front pour attirer la présence de forces étrangères qui, elle-même, légitimerait leur action."

Pour ne pas tomber dans ce "piège", la difficulté consiste à engager la riposte sans le crier sur les toits. Les autorités maliennes, alarmées par la mauvaise image touristique donnée par ces événements, ont engagé des négociations avec des intermédiaires, via des édiles locaux, pour obtenir la libération de Pierre Camatte, dont le profil - Français et engagé dans l'aide au développement - est emblématique de la tradition d'accueil dont se réclame le pays. En avril 2009, deux prisonniers islamistes avaient été remis en liberté au Mali contre la libération d'otages occidentaux. La France reproche au président malien Mamadou Toumani Touré la fragilité de son armée et sa difficulté à s'engager dans une stratégie claire.

Discrètement, Français et Américains coordonnent leur présence militaire dans les pays du Sahel. Pas question officiellement de bases permanentes, mais d'appui logistique, de fourniture de matériels de communication et d'entraînement d'hommes.

Le Mali était d'ailleurs l'un des points à l'ordre du jour de la visite, le 6 janvier à Paris, du général américain William Ward, patron du commandement pour l'Afrique (Africom) créé en 2007. Oscillant entre manifestation d'inquiétude à propos des "foyers d'instabilité" en Afrique et souci de rassurer des Africains peu désireux de servir de terrain d'affrontement, il a assuré que les Américains n'étaient pas sur le continent "avec des bataillons de soldats qui se déploieraient un peu partout", mais opéraient "en partenariat" avec les pays pour leur permettre d'"accroître leurs compétences" et d'"affronter les menaces terroristes".

Mais les Américains ont dû renoncer à implanter sur le sol africain le quartier général de l'Africom situé à Stuttgart (Allemagne). Les Français ne seraient "pas fâchés" de les voir s'installer à Monrovia (Liberia). Mais les rares pays africains candidats ont jeté l'éponge après avoir subi d'intenses pressions, non seulement de la part de la Libye, mais du Nigeria et de l'Afrique du Sud, qui n'ont aucune intention de laisser l'armée américaine prendre racine sur le continent.

Philippe Bernard