mercredi 13 janvier 2010

La législation antiterroriste en Mauritanie suscite un débat

Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud pour Magharebia à Nouakchott

[Georges Gobet/AFP/Getty Images] La Mauritanie a adopté une nouvelle législation destinée à lutter contre le terrorisme.

Une nouvelle loi antiterroriste adoptée par le parlement mauritanien le 5 janvier attire les critiques de l'opposition et de citoyens inquiets d'un renforcement des pouvoirs de l'Etat.

La raison de cette nouvelle loi a été l'enlèvement de trois travailleurs humanitaires espagnols en novembre et d'un couple italien en décembre, deux kidnappings revendiqués par al-Qaida au Maghreb islamique.

Cette loi donne à la police le droit de placer les téléphones privés sur écoute, de procéder à des fouilles de logements à tout moment et de détenir des suspects sans procès pendant plus de quatre ans. Elle donne également aux rapports des forces de police un statut légal et non contestable, un point qui inquiète particulièrement les détracteurs de cette loi qui affirment que la police obtient souvent des aveux sous la torture.

"L'objectif de cette loi est de mettre un terme au phénomène du terrorisme, qui nous a récemment frappé", a déclaré le député de la majorité Sidi Mohamed Ould Mehem, précisant que tous les pays voisins disposaient de leur propre arsenal juridique pour lutter contre le terrorisme et qu'il était temps que la Mauritanie dispose également du sien.

"Cette nouvelle loi permettra aux agences mauritaniennes de sécurité d'échanger des informations avec d'autres pays", a expliqué pour sa part le ministre de la Défense Hamadi Ould Hamadi.

Aux termes de cette nouvelle législation, les enfants pourront également être jugés pour terrorisme, et les personnes ayant collaboré avec les enquêteurs bénéficieront d'une immunité pour tout délit pénal. Cette loi stipule également que le procureur général pourra faire procéder à la confiscation de tous les biens des personnes accusées de terrorisme.

"Les suspects des affaires terroristes portent atteinte à la liberté et à la sécurité des autres, et en conséquence, la liberté de ces suspects doit être restreinte parce qu'ils représentent un danger pour la société et le bien-être des citoyens", a déclaré le député Mohamed Ould Bebane, favorable à cette loi.

Mais les députés de l'opposition émettent des réserves sur le renforcement des pouvoirs du gouvernement sur les citoyens mauritaniens tels que la loi l'autorise.

"L'approbation de cette loi par le régime renforcera la dictature et l'oppression plus qu'elle ne servira les spécialistes de la lutte antiterroriste", a estimé le leader de l'opposition et secrétaire général du Rassemblement des forces démocratiques Ahmed Ould Deddah lors d'une conférence de presse organisée le 4 janvier.

"Cette nouvelle législation ouvre la porte à la terreur pour les citoyens, non seulement en mettant leurs téléphones sur écoute, mais aussi en procédant à des fouilles à domicile à tout moment et sans mandat légal", explique-t-il.

Le président de l'Union des forces du progrès Mohamed Ould Mowloud émet également des réserves sur cette loi.

"Cette nouvelle loi n'est pas destinée à combler les lacunes dans la législation antiterroriste", a-t-il déclaré. "Elle ouvre plutôt la porte à ce que nous appelons le 'terrorisme d'Etat', qui viole les éléments de base de la démocratie."

Les citoyens mauritaniens sont également divisés sur cette nouvelle législation.

Mohamed Lemine Ould Mohamed, un chauffeur de taxi, estime légitime de sacrifier ses libertés civiles si cela empêche toute nouvelle attaque terroriste.

"Au vu des horreurs que nous avons connues ces dernières années en termes d'attentats à la bombe et d'opérations suicides dans différents endroits du monde, qui ont tué des milliers de personnes innocentes et engendré la haine contre l'Islam et les Musulmans, je préfère la sécurité de mon pays à l'extrémisme et au terrorisme", déclare-t-il."En tant que Musulman modéré, cela ne me choquera pas s'ils mettent mon téléphone sur écoute ou viennent fouiller mon domicile dès l'instant où je suis certain de ma droiture et que je ne suis impliqué dans aucun acte suspect", explique-t-il.

Mais d'autres Mauritaniens se montrent plus prudents. "Pour moi, cette loi ne semble pas très utile"; explique Yakoub Ould Sidi, un commerçant. "Cela tient au fait que nombre des points approuvés aux termes de cette nouvelle législation, comme la mise sur écoute des téléphones, étaient [déjà] pratiqués en secret par les services de sécurité."

"Je pense qu'un dialogue entre le gouvernement et les extrémistes sera la manière la plus efficace de combattre le terrorisme", ajoute-t-il.