vendredi 2 avril 2010

La Situation politique et sécuritaire au Nord : Enquêtes sur le terrorisme sahelo-saharien : Au cœur de l’empire salafiste

En 1996 et 1997, la guerre contre le FIS fait rage en Algérie. Elle provoque « l’hégire » des jihadistes par le Sud du pays. Or le « Sud de l’Algérie, c’est le Nord du Mali et l’Ouest d’un second. » La boutade du président malien correspond à la « Zone 9 » du GSPC qui va du Sud Algérien aux Nord du Niger, de la Mauritanie et du Mali. Indésirable à Alger, la « première colonne » des Islamistes étrenne le Tanezrouft, le Tamesna, l’Adrar et l’Akla, ces vastes régions de sable et d’ergs entre le Mali, le Niger, la Mauritanie et l’Algérie, où le jour est un four, la nuit un congélateur et l’eau un trésor. D’ailleurs, seuls y vivent quelques ménages nomades côtoyant, selon les saisons, les groupes caravaniers et de téméraires contrebandiers de cigarettes.

Cap sur un no man’s land

Les contreforts de l’Adrar et les dunes de l’Akla sont aussi imprenables que Tora-Bora sur lesquels les hôtes jettent leur dévolu. On les rencontre peu mais le téléphone arabe marche. Les villes de Tombouctou, Kidal et Gao s’animent des récits grossis ou fidèles
« d’Algériens barbus qui s’installent de plus en plus ». Un caravanier berabiche se souvient : « les gens de ma tribu, rencontreront quelques fois Belmokhtar, un commerçant de véhicules 4x4 ». Retenons ce nom, on entendra de plus en plus! Un ancien humanitaire de la Région de Gao assure également « avoir entendu parler, en avril 1997, d’une escarmouche entre un convoi d’islamistes algériens et une patrouille de la garnison de Tarkint », un poste sécuritaire entre Gao et Kidal.

L’accrochage ayant fait un mort du côté des salafistes, ceux-ci évitent, dès lors, le voisinage des garnisons militaires. Ce qui n’est pas la mer à boire : le désert saharien est vaste et le deal est bon pour tout le monde. L’armée d’abord : elle ne peut pas surestimer sa force de frappe, au sortir de la rébellion du Nord en 1995. Les barbus ensuite : ils ne sont pas là pour faire mal à leurs hôtes, leur « problème c’est le pouvoir algérien ». « En 2001, on peut les voir en nombre vers Inkalil », site malien faisant frontière avec l’Algérie, selon un notable de Kidal qui poursuit : « ils sont, à l’époque, décrits comme « ceux qui ont été privés de leur victoire électorale en Algérie ». Ces barbus, d’ailleurs, sont « des gens sympas » commente le caravanier arabe : « ils font leurs prières, vous saluent cordialement quand ils vous rencontrent. Et ils ont horreur d’exploiter ». Il n’est pas le seul à le penser : « quand ces gens vous achètent une chamelle, vous avez de l’argent pour plusieurs mois. Rien à voir avec les prix abaissants des marchés locaux », trouvent à dire plusieurs ressortissants de Tombouctou et Kidal.

Les otages allemands font des petits

Les hôtes marquent un point : leur réputation de musulmans honnêtes et charitables les précède. Un enfant dans le campement a t-il une rage de dents ? Les salafistes se portent à son secours. Peut-être un ou deux cachets de paracétamol, mais c’est un élixir rare dans ces bleds perdus qui n’ont jamais reçu la visite d’un médecin. Tout ce qu’ils peuvent faire pour rassurer et conquérir la population, ils le font. A partir de 2003, leur présence dans le Sahara non algérien devient un secret de polichinelle. Cette année-là,
Abderrazak el Para est à la « une » de tous les médias. Il garde au Nord-Mali des otages parmi les trente-deux touristes enlevés quelques mois plus tôt en Tunisie. Quatorze d’entre eux, - neuf Allemands, quatre Suisses, un Néerlandais- seront libérés le 18 août de la même année. Contre paiement d’une forte rançon ? Probable. Bonn dément, mais les médias allemands avancent le montant de 4 millions et demi d’Euros. Cinq millions d’Euros, affirme dans ses auditions, El Para pris en filature par la CIA et arrêté au Tchad le 16 mars 2004 avant d’être remis à Alger.

L’entremise de deux négociateurs maliens pour sauver la vie des otages et servir de relais entre la nébuleuse terroriste et les gouvernements du Mali et ceux des pays concernés par les kidnappings, se révèle précieuse. Il s’agit d’Iyad Ag Ali, ancien chef rebelle touareg et de Baba Ould Choueickh, un commerçant pour qui le désert n’aurait pas de secret. Efficaces et discrets, ils seront sollicités dans toutes les négociations ultérieures concernant les otages. Pour les méchantes langues jalouses de leurs succès, ils font plus partie du problème salafiste que de sa solution. Allusion à leurs cachets que personne n’a vus mais qui « font des enlèvements un marché juteux et pas que pour les émirs salafistes », entend-on souvent dans le milieu. De là à penser que les négociateurs font tout pour ne pas « chômer »…

En tout cas, la glorieuse épopée des « touristes allemands » n’est pas restée sans enseignements pour le GSPC. Celui-ci, on le sait par les services algériens, tire la langue et est minée par des querelles intestines. Belmokhtar saisit l’opportunité puisqu’ il revendique, en mars 2008, la détention de deux touristes autrichiens enlevés eux aussi en Tunisie et libérés en avril 2009 Sûrement pas sur des considérations humanitaires. Mais Aqmi n’est pas une nébuleuse pour rien : il lui faut rester flou dans son organisation et dans ses activités. Elle n’annonce jamais avoir perçu de rançons. Et ceux qui sont soupçonnés de les avoir payées démentent toujours, la main sur le cœur. Reste qu’aux Autrichiens, succèdent les Canadiens, les Suisses, le Français Camatte, et depuis peu deux Espagnols et un couple italien. On ne fait pas cela juste pour s’amuser ! Surtout que la logistique des enlèvements ne peut pas être simple. Ils se font toujours très loin de la base de repli des terroristes, assurent des observateurs avertis dont ce fonctionnaire à la retraite qui a traîné longtemps sa bosse dans les trois régions nord du Mali.

Une internationale de la rançon ?

L’industrie du rapt, commente t-il, commence par le renseignement sur la présence d’occidentaux dans le périmètre des opérations. Exemple : « il y a des touristes à telle distance et à telle position ». La révolution du GPS permet désormais de le savoir au millimètre près et celle du téléphone « Thuraya » d’en informer à temps réel qui de droit. Entrent alors en scène, les gros bras, enturbannés ou cagoulés, armés jusqu’aux dents, précis et rapides. Selon le journaliste catalan Alex Recolons qui accompagne en décembre dernier la caravane humanitaire entre Nouhadibou et Nouakchott et qui vient de boucler un séjour d’un mois à Bamako attendant la libération de ses compatriotes aux mains d’Aqmi, l’enlèvement des trois Espagnols a duré « quelques petites minutes pas plus ».

Le temps pour un membre du convoi de « s’apercevoir que la voiture manquante ne répond plus au système Radio qui reliait toutes les voitures de la caravane et de retourner immédiatement sur ses pas la chercher et trouver la voiture de Marquez en plein milieu de la route, toutes portières ouvertes et sans ses trois occupants ». Ceux qui enlèvent sont-ils ceux qui vendent directement à Al Qaeda ? « Sans doute non, les bases salafistes ne sont pas ouvertes à n’importe qui », affirme l’ancien fonctionnaire. C’est aussi l’avis des « services ». Mais encore une fois, une nébuleuse, c’est pour ne pas voir clair. Par contre, pour les communautés nomades, il existe une mercuriale du rapt. Le prix d’achat d’un otage dépendrait de sa nationalité. Les Américains et les Britanniques, c’est bien idéologiquement de les détenir mais peu rémunérateur de les enlever. Leurs pays ne les rachetant jamais, Belmokhtar ou Abuzeid les achètent pour des « miettes ».

Les plus rentables seraient les Allemands, les Suisses, les Autrichiens. Malheureusement pour les acteurs de cette nouvelle traite, ces nationalités sont aujourd’hui une espèce en voie d’extinction sur la « route du sel » ou des festivals dunaires. Les ambassades occidentales déconseillent formellement le tourisme dans ces régions dangereuses.
Isolez donc leurs intermédiaires, revendeurs ou informateurs, en somme leurs hommes de main, et vous isolez Aqmi ! C’est à cette stratégie que travaillent les forces de sécurité de la Région. C’est ainsi qu’arrêté le 22 décembre, le Malien Abderrahman Ould Meddou est présenté au juge à Nouakchott pour « avoir coordonné l’enlèvement » du couple italien Cicala, deux jours plus tôt. Il aurait reconnu, selon la presse locale corroborée par des sources mauritaniennes proches du dossier, avoir reçu un paiement de dix millions cfa par Aqmi. Son contrat avec la nébuleuse : suivre « la cible et informer ». Même chose pour « Oumar Sahraoui », un des présumés cerveaux de l’enlèvement des otages espagnols, deux semaines avant celui des Italiens : il a été présenté mi-mars à la justice mauritanienne avec six autres suspects. Côté malien où ce genre d’informations est généralement confidentiel, les « services » le 3 février dernier du redoutable criminel Ould Acheibany pour homicides volontaires et divers actes crapuleux dont, possiblement, la complicité dans l’enlèvement d’otages.

Divergences entre Etats

L’ancien GSPC devenu Aqmi en 2007 frappe où il peut. Il est particulièrement intraitable sur la Mauritanie où il signe plusieurs attaques dont celle de Tourine le 14 septembre 2008 avec son effroyable bilan de onze militaires et d’un civil tous égorgés. Mais depuis, Nouakchott est monté en puissance. En fin 2009, de sources sécuritaires, vingt-cinq terroristes présumés sont en détention dans les prisons mauritaniennes. Beaucoup d’entre eux sont présentés devant les caméras. Pas du menu fretin : il y a par exemple Abou Jendal le chef de l’une des huit cellules jihadistes mauritaniennes commandées par Belmokhtar. L’homme est arrêté avec six de ses acolytes.

L’attaque de Tourine « c’est lui ». Mais six éléments de son commando sont en cavale dont le négro mauritanien Cheick Ba et Beib Ould Nafa, le salafiste dont la libération par la justice malienne le 18 février dernier heurte Nouakchott au plus haut point. « Bamako a refusé de l’extrader ». De son côté, Bamako réfute : « les Mauritaniens ne sont même jamais venu voir le suspect, à fortiori demander son extradition. Par contre, ils ont obtenu que leur soient remis, le 19 février 2008 quatre suspects tous arrêtés dans le quartier résidentiel de Faladié à Bamako en 2007». S’il dit avoir bon dos, le pays d’ATT se fâche d’être traité de ventre mou de la lutte contre le terrorisme. « Voilà un problème qui nous vient d’ailleurs et dont nous nous serions volontiers passés », rappelle souvent ATT sur la défensive.

Pourtant, pour parler du dernier casus belli entre le Mali et ses voisins algérien et mauritanien, un diplomate dans la capitale malienne commente : « Bamako ne convainc pas en tentant de dissocier la libération des quatre salafistes de l’affaire Camatte ». « Depuis 2005 nous avons arrêté une trentaine de terroristes présumés », se défend le Mali. En avril 2002 en effet, de source militaire, un accrochage a lieu entre Aqmi et l’armée malienne. Et en 2006, avec l’appui américain, et sous les applaudissements d’Alger, les forces de sécurité malienne traquent Belmokhtar. Celui-ci devra son salut à la chance et l’embuscade à laquelle il échappe tue plusieurs de ses hommes. En 2009, au moins deux affrontements au bilan élevé de part et d’autre ont lieu entre Aqmi et l’armée malienne, rappelle Bamako.

Selon un analyste, le problème est que ses voisins ne veulent pas réaliser le fait que seul le Mali a à surveiller près de cinq mille kilomètres de frontière. Car c’est bien cela la longueur totale des frontières de ce pays avec l’Algérie, (1373 km), la Mauritanie (2237 km) et le Niger (821 km). En comparaison, entre « l’Algérie qui est l’épicentre salafiste et la Mauritanie il n’y a que 463 km ». Soit ! Mais comment expliquer que les jihadistes n’aient pas pu s’installer au Niger qui partage tout de même 962 km avec l’Algérie? Il est vrai, poursuit l’analyste, que le Niger de Tandja a souvent croisé le fer avec eux mais en vérité, ceux-ci « ne s’installent que là où il y a une communauté arabe forte et de bonnes cachettes ». Pour lui, seul le Mali réunit ces conditions. Quid de l’hypothèse d’un pacte tacite de non agression entre Aqmi et son hôte malien ? Et des rumeurs que les services d’intelligence des pays occidentaux convaincus de sa mauvaise foi ne veulent pas coopérer avec leur homologue malien ? « Faux et archifaux. La coopération, à ce niveau, ne fait pas défaut.

Avec le Ghana, nous sommes le seul pays ouest-africain à avoir reçu la visite du Directeur de la CIA, le Général Michael Hayden venu, le 18 janvier 2008 féliciter ATT des efforts maliens dans le cadre de la lutte anti terroriste ». Il est vrai, c’était en 2008. En 2010, le narcotrafic mené à une échelle sans précédent complique les enjeux de l’espace sahélo-saharien. ATT sait que son pays n’a plus droit à l’erreur qui, le 5 mars dernier, a dévoilé la nouvelle stratégie malienne d’éradication du terrorisme et du narcotrafic devant le Conseil supérieur de la Défense. Le plan à plusieurs volets se veut radical : éviter que le Mali soit au « narco-terrorisme » ce que Médine fut à l’Islam. Dix jours plus tard, à Alger, les ministres des pays riverains de cet espace -sans le Maroc- allaient renouveler leur détermination à enrayer la tumeur Aqmi. Reste à voir si celle-ci n’a pas métastasé.

Adam Thiam