lundi 20 septembre 2010

La France mobilisée face au terrorisme

Le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux a confirmé lundi 20 septembre que la menace terroriste en France était « réelle », alors que les services de renseignements évoquent « une menace imminente ». Mardi dernier, la tour Eiffel et la station de RER Saint-Michel, à Paris, ont été évacuées par la police, après des alertes à la bombe qui se sont révélées fausses. Par ailleurs, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, fait l’objet depuis jeudi soir d’une protection rapprochée du Service de protection des hautes personnalités, pour une durée et une raison indéterminées. Ces événements surviennent alors que cinq Français, un Togolais et un Malgache ont été enlevés jeudi à Arlit, dans le nord du Niger, par un groupe d’hommes armés, un enlèvement attribué par les autorités françaises à Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Lundi, on était toujours sans preuve de vie de ces sept otages, pour lesquels aucune revendication n’avait été formulée


Un officier présente des images prises par un satellite de renseignements. La France observe la région du Sahel afin de localiser les preneurs d’otages (BONAVENTURE/AFP).

La France est-elle une cible privilégiée ?

Après l’opération franco-mauritanienne lancée le 22 juillet dernier contre un camp de djihadistes au nord du Mali, dans le but de récupérer l’otage Michel Germaneau, opération qui s’est soldée par un échec, Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) a fait de la France une cible privilégiée. « À l’ennemi d’Allah, Sarkozy, je dis : vous avez manqué une occasion et ouvert la porte de l’horreur pour vous et votre pays », menaçait un communiqué de l’organisation.

Les risques de représailles sont très élevés, aussi bien à l’étranger que sur notre territoire. Le parquet antiterroriste de Paris a ouvert lundi 20 septembre une enquête préliminaire pour « vérifier » un renseignement sur une femme soupçonnée de vouloir mener un attentat kamikaze dans la capitale. Selon une source proche du ministère de l’intérieur citée lundi par l’AFP, Aqmi « ferait peser une menace imminente d’attentat sur le territoire national ». La veille du 11 septembre, le patron de l’antiterrorisme Bernard Squarcini avait déjà reconnu dans Le Journal du dimanche (JDD) : « Tous les clignotants sont dans le rouge. »

Selon les spécialistes du renseignement, la menace n’est pourtant pas nouvelle. La France et ses intérêts ont été la cible d’un terrorisme international lié à la situation aux Proche et Moyen-Orient dans les années 1980, du Groupe islamique armé (GIA) en Algérie dans les années 1990 et, depuis les attentats de 2001 aux États-Unis, de réseaux djihadistes internationalistes de la mouvance Al-Qaida.

Pour l’expert Éric Dénécé, la menace est « permanente » depuis l’intervention de la France en Afghanistan, où l’on a envoyé 4 000 hommes. Dans l’entretien qu’il donnait au JDD, Bernard Squarcini évoquait trois sources de menaces : « Le Français converti qui se radicalise et monte une opération seul. Aqmi qui dépêche un commando (…) Et les djihadistes, qui partent en Afghanistan ou au Yémen. » Ces dernières semaines, d’autres événements comme le vote de la loi sur le voile intégral, le 14 septembre, ou les critiques de Paris contre l’Iran, ont fait de la France une cible encore plus privilégiée.

Quels sont les intérêts français visés ?

Le risque terroriste peut aujourd’hui aussi bien concerner le territoire national que les ressortissants et intérêts français à l’étranger. Cibles économiques, touristiques, diplomatiques et militaires… On se souvient des attentats contre un bus de l’entreprise DCN à Karachi et de l’opération contre le supertanker Limbourg au large d’Aden en 2002. Des assassinats et des enlèvements de ressortissants français – touristes, expatriés et militaires – ont aussi eu lieu en Arabie saoudite, en Mauritanie, au Mali, en Algérie et en Afghanistan en 2007, 2008 et 2009.

La situation des grandes entreprises françaises en Afrique est particulièrement sensible. Ainsi le groupe Areva est présent dans le nord du Niger, une région stratégique pour ses réserves d’uranium. Plusieurs grandes entreprises françaises participent au nouveau « grand jeu » pour l’accès aux approvisionnements en ressources fossiles et minérales sur le continent africain, une zone à risque.

D’où vient la menace djihadiste ?

Héritière du GIA et du GSPC, la mouvance Aqmi occupe une place de choix dans la menace terroriste protéiforme, en grande partie djihadiste, qui pèse sur la France et ses ressortissants et intérêts dans certaines régions du monde. En déclin dans le nord de l’Algérie et ayant des difficultés à frapper le sol européen, Aqmi se développe au Sahara, un espace transfrontalier difficilement contrôlable.

Depuis l’enlèvement, en avril, suivi de l’assassinat, en juillet, de Michel Germaneau, l’organisation terroriste et la France sont en guerre ouverte. Nicolas Sarkozy avait promis que ce crime ne resterait « pas impuni ». De son côté, Aqmi avait juré de se venger du raid franco-mauritanien du 22 juillet durant lequel sept combattants islamistes ont été tués. Présenté comme la principale menace pesant sur le Sahel, Aqmi compte entre 300 et 500 combattants, pour moitié Mauritaniens mais dont les chefs («émirs ») sont presque tous algériens.

Leur faible effectif est compensé par une grande mobilité et des complicités locales. Les djihadistes ont gagné la confiance des Touaregs en finançant des puits ou en rachetant du bétail. En retour, certaines tribus touarègues jouent un rôle de sous-traitants en repérant des cibles, voire en enlevant des otages pour les remettre au groupe terroriste contre récompense. Aqmi évolue dans une zone carrefour de tous les trafics : cocaïne colombienne transitant vers l’Europe, haschich marocain pour le golfe Persique, armes, clandestins, cigarettes, essence, etc. Certaines phalanges (katibat) terroristes participent aux trafics, de même que des membres des services de sécurité du Niger, du Mali et de la Mauritanie.

Autre source de revenus, les enlèvements. La libération, fin août, des trois otages espagnols aurait ainsi rapporté 8 millions d’euros à la katibat de Mokhtar Ben Mokhtar (« MBM »). Un autre chef de phalange, Abdelhamid Abou Zaïd, aurait exécuté un Britannique puis Michel Germaneau. Selon l’expert britannique Jeremy Keenan, ces deux « émirs », de même que l’émir Yahia Djouadi, sont ou auraient été proches du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) algérien qui a commencé en 2006 à envoyer au Sahel des islamistes « repentis ».

Quels moyens de lutte sont mis en œuvre ?

Frappée en 1986 et 1995 par des attentats perpétrés par des groupes proche-orientaux, la France a mis au point un dispositif de lutte assez efficace. Louis Caprioli, ancien de la Direction de la surveillance du territoire et conseiller chez le professionnel de la sécurité Geos, estime qu’en moyenne deux attentats par an sont ainsi déjoués dans l’Hexagone.

La surveillance des lieux publics par des patrouilles de militaires et policiers dans le cadre du plan Vigipirate (lire ci-contre) rassure l’opinion et contribue à déstabiliser d’éventuels réseaux terroristes en gênant leur mobilité. Ce plan, qui comporte quatre niveaux d’alerte, peut, dans sa phase ultime, mobiliser en masse les forces de l’ordre et l’armée, pour contrôler par exemple les frontières. En cas d’alerte, les administrations mais aussi les grands commerces et les grandes entreprises peuvent être appelés à prendre des dispositions en recourant aux services de sociétés de sécurité privées.

L’idéal est évidemment d’anticiper les attentats pour les empêcher. Ce rôle est dévolu aux services de renseignement : la Direction centrale du renseignement intérieur (contre-espionnage, relevant du ministère de l’intérieur) et la Direction générale de la sécurité extérieure (espionnage, relevant du ministère de la défense). Ces deux services se sont spécialisés, ces dernières années, dans la lutte contre le terrorisme d’origine islamiste.

Afin de mieux répondre à cette menace, le livre blanc de la défense et de la sécurité intérieure (juin 2008) a prévu davantage d’effectifs. Mais les impératifs de la rigueur budgétaire devraient limiter cet objectif.

François D’ALANCON, Antoine FOUCHET et Bernard GORCE